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Guerre du football : Honduras / Salvador 1969, lorsqu'un simple match de football déclenche une guerre...

14min | 11 Déc. 2025Partager
Serrage de mains entre deux joueurs honduriens et salvadoriens avant le coup d'envoi à Mexico

Introduction

Ce match, ce n'est pas un simple match de foot, non ! Ce match, c'est le match qui a déclenché une guerre ! Honduras / Salvador se jouait pourtant sur terrain neutre, mais la tension était trop forte et il a fallu une seule étincelle pour faire partir une flamme qui s'est transformée en un brasier monstre. Retour sur un match qui a mis deux pays à feu et à sang et qui s'est prolongé bien en dehors des tribunes footballistiques...

69, année érotique pour certains, année sanglante pour d'autres... Neil Armstrong posait le premier pied sur la Lune cette année-là, mais pourtant en Amérique Centrale, personne n'avait la tête dans les étoiles !

Qu'on se mette tout de suite d'accord, cette guerre n'a pas seulement été causée par un simple match de foot, ici, le match a plutôt été un catalyseur dans le conflit prêt à exploser entre les deux pays voisins. Cette guerre n'a pas non plus été la guerre la plus longue du monde, en plus de son surnom de "Guerre du football", elle est également surnommée "Guerre de cent heures". Mais pourtant, derrière ces deux surnoms peu effroyables, elle dissimule une intensité meurtrière si fulgurante, que proportionnellement à sa durée, elle dépasse même le carnage de la Seconde Guerre mondiale...

Contexte géopolitique : deux pays que tout oppose

Deux pays sont opposés durant ce conflit.

D'un côté le Salvador. Coincé entre l'Océan Pacifique au sud, le Honduras au nord et à l'est, et le Guatemala à l'ouest, il est le plus petit pays d'Amérique Centrale. C'est également le plus densément peuplé à l'heure actuelle avec plus de 300 habitants au kilomètre carré. A l'époque, le pays était peuplé de 3 à 4 millions d'habitants.

De l'autre, le Honduras. Vous regardez le Salvador, et vous prenez tout l'inverse. Deuxième plus grand pays d'Amérique Centrale, il est pourtant moins peuplé que son voisin salvadorien avec seulement 2 à 3 millions d'habitants.

Carte dessinant les frontières actuelles du Honduras et du Salvador
Carte dessinant les frontières actuelles du Honduras et du Salvador

Mais avant de parler football, parlons géo-politique pour poser le contexte de l'époque car c'est ce qui va être l'élément clé qui va déclencher les prémices de la guerre.

Dans les deux pays, la répartition des terres entre les populations est très inégale, avec plus de la moitié des terres qui sont propriétés d'une très faible population riche. Conséquence : les paysans les moins fortunés n'ont pas assez de terres pour leur activité et ont donc de plus en plus de mal à se nourrir. La surpopulation du Salvador ces années-là, entraîne inévitablement un exode massif des salvadoriens vers des territoires honduriens afin de cultiver des terres, ce qui fut le cas d'environ 300 000 personnes. Mais malgré la taille du pays, les honduriens ne peuvent pas accueillir cet exode car eux aussi ont le même problème dans leur nation. La pression monte car les honduriens ne voient pas arriver d'un très bon œil des nouveaux concurrents salvadoriens sur leur marché paysan. Le tout cumulé à une pression sociale où près de la moitié des enfants honduriens sont analphabètes ou ne sont pas scolarisés.

Bref, le président du Honduras, Oswaldo López Arellano, nouvellement arrivé au pouvoir à la suite d'un coup d'état, prend des décisions drastiques pour essayer de sauver son peuple et contrer son impopularité : expulser, dans leur pays, des milliers de familles salvadoriennes venues migrer au Honduras. La tension était telle entre les deux nations à ce moment-là, que la corde ne pouvait que rompre... Et c'est donc un simple match de football qui va mettre le feu aux poudres !

Match aller : début des tensions

Le contexte sportif est pourtant censé être joyeux, avec un barrage ayant pour objectif de départager les deux équipes dans leur quête vers la Coupe du Monde 1970 qui se déroulera, non loin de là, au Mexique. Le contrat est simple : un format de matchs aller-retour, le vainqueur est qualifié en finale d'accession pour la Coupe du Monde l'année suivante, le perdant est éliminé. Dure loi du sport, mais c'est le jeu... Et à ce jeu là, les médias vont également s'en donner à coeur joie en exacerbant une rivalité entre les deux pays qui n'attendait qu'à s'embraser !

Le match aller a lieu à Tegucigalpa, capitale hondurienne le 8 Juin 1969, et dès le début, on sait que le match ne se déroulera pas seulement sur le gazon vert. Au même moment, une grève des enseignants a lieu dans la capitale. Pour attirer l'attention sur leur combat, les enseignants honduriens vont disposer des clous sur la route. Et BAM, le bus transportant les joueurs salvadoriens roule sur les clous et crève ses pneus. Les salvadoriens protestent et se rebellent, ce qui énerve les supporters honduriens qui encerclent alors l'hôtel des joueurs rivaux et font du bruit toute la nuit à coup de pétards, chants, pierres dans les fenêtres, etc. Bref, je la fais courte, les salvadoriens n'ont pas réussi à trouver le sommeil, et cela s'est bien vu sur le terrain le lendemain, défaite du Salvador 1 à 0 suite à un but de Germán Gómez en toute fin de match.

Cela est vu comme un drame national dans le pays du vaincu. Ok, le match aller-retour n'est pas encore terminé, il leur reste une deuxième manche à disputer, mais c'est vécu comme une injustice et une humiliation profonde contre un rival devenu alors ennemi juré. Le désespoir est tel, qu'une jeune supportrice, Amelia Bolaños, âgée de 18 ans à l'époque, se suicide d'une balle en plein cœur. Selon le journal "El Nacional", elle n'aurait pas supporté que sa patrie se mette à genoux... Son décès sera suivi par une cérémonie d'obsèques nationales, retransmise en direct à la télévision et en présence du gouvernement salvadorien de l'époque.

Match retour : revanche sur le terrain, revanche hors du terrain...

Et pourtant, ceci n'est qu'un début dans l'escalade de l'horreur. Le match retour a lieu, une semaine plus tard, en territoire salvadorien, à l'Estadio de la Flor Blanca, de la capitale San Salvador. Même traitement qu'au match aller, mais on échange les équipes. Cette fois, ce sont les joueurs honduriens qui en sont les victimes. Jets d'œufs pourris, de rats morts et de chiffons puants. Leur premier hôtel est incendié, tous les joueurs sont obligés de déménager et de trouver refuge dans un second hôtel. Impossible de fermer l'œil de la nuit à cause des supporters qui font un gros tapage pour fatiguer leurs adversaires. La tension étant encore plus forte qu'à l'aller, les joueurs sont escortés par la police pour se rendre au stade, des militaires sont appelés en renfort afin de se mettre tout autour de la pelouse et éviter un envahissement qui pourrait très mal se terminer... Les joueurs entrent sur le terrain et c'est une bronca qui attend les honduriens lorsque leur hymne retentit dans le stade ! Le décor est posé... Comme à l'aller, impossible pour l'équipe visiteuse de s'imposer dans ces conditions là et c'est donc l'équipe recevante qui s'impose : victoire 3 à 0 du Salvador. L'entraîneur du Honduras, Mario Griffin, aura ces mots à la fin du match : "Avec de telles circonstances, les joueurs n'avaient évidemment pas la tête au football. Tout ce qui les préoccupait était de sortir du pays vivant. Nous sommes très chanceux d'avoir perdu ce match." Chanceux, oui ils l'ont été sur le moment car ils sont rentrés en vie, ce qui ne fut pas le cas de deux honduriens, décédés au cours des échauffourées.

La règle de la différence de but n'existant pas encore à l'époque, un match d'appui doit alors se jouer afin de départager une bonne fois pour toutes ces deux équipes. Le match se jouera en terrain neutre, le vendredi 27 Juin au Stade Aztèque de Mexico, futur théâtre de la finale de la Coupe du Monde l'année suivante.

Point de rupture à Mexico. La guerre est déclarée...

Bref, la tension monte petit à petit et les médias ne font rien pour calmer le jeu. De chaque côté de la frontière, la presse attise un feu qui continue de brûler. Dès lors, il ne s'agit plus d'un simple match de foot, il s'agit de montrer sa dominance sur le pays voisin, devenu ennemi national. Les relations diplomatiques sont rompues entre les deux pays entre le 26 et le 27 Juin. Toutefois, cette tension entre les deux pays rivaux est contrastée avec le calme des joueurs sur le terrain. Pipo Rodriguez expliqua ensuite : "Pour nous comme pour les joueurs honduriens, ce n'était pas un match entre ennemis, mais entre rivaux sportifs."

Mais, place au jeu ! Le coup d'envoi est donné par M. Elizalde, l'arbitre mexicain du match. 1-0 pour le Salvador, égalisation du Honduras. 2-1 pour le Salvador moins de dix minutes plus tard mais le Honduras revient de nouveau à hauteur après la mi-temps... Les deux équipes n'arrivent pas à se départager... Fin du match ! Comme si la tension n'était pas assez forte pour les nations, nous aurons le droit à des prolongations... Et puis... Pipo Rodriguez redonne une nouvelle fois l'avantage aux salvadoriens. Cette fois sera la bonne, 3-2 score final. Le Salvador est qualifié pour le barrage d'accession en Coupe du Monde, mais surtout, en éliminant son plus grand rival.

Une du journal El Diario de Hoy du 28 Juin 1968
Une du journal El Diario de Hoy du 28 Juin 1968

Une nuit d'émeutes s'ensuit alors au cœur de Mexico avec des hommes roués de coups, des femmes violées, ... Les hôpitaux sont bondés et rapidement débordés. Même constat au niveau de la frontière où il y aura même plusieurs décès.

Plus les jours passent, et plus les relations se détériorent entre les deux pays, s'accusant l'un et l'autre de multiples actions : des avions franchissant illégalement la frontière, des tirs en représailles, des combats militaires qui débutent, des maisons incendiées, etc.

Le point de non-retour est franchi le 14 Juillet. Une bombe est lâchée sur la capitale du Honduras par l'armée du Salvador. Conjointement, 9 autres villes honduriennes sont bombardées et la frontière est franchie en 7 points par l'armée salvadorienne. C'est une véritable offensive qui fonctionne au début ! En face, l'armée hondurienne est moins nombreuse et mal préparée. Le seul endroit où elle domine son adversaire, c'est dans les airs avec plus du double d'avions de combat que le Salvador. L'avancée des troupes salvadoriennes est rapidement contrée par les avions honduriens qui détruisent les cargaisons censées ravitailler l'ennemi en munitions ou en carburant.

Tout cela mène à un statu quo. Le cessez-le-feu devient en réalité effectif durant la nuit du 18 au 19 Juillet.

Cette guerre n'aura duré au total que 4 jours, d'où son surnom de Guerre de Cent Heures également utilisé. Mais côté humain, le bilan est lourd pour une guerre si courte avec des pertes principalement civiles qui se chiffrent à 2 à 3 000 personnes et près de 15 000 blessés. Selon les sources, entre 60 000 et 130 000 salvadoriens ont été expulsés de force ou dû fuir le Honduras. Les économies des deux pays ont terriblement souffert de cette guerre. Bref, le constat n'est glorieux pour aucun des deux pays...

Une coupe du monde historique mais malheureusement sans surprise pour le Salvador

Revenons à notre football, courant Septembre 1969 se jouent les barrages d'accession au Mondial 1970 entre le Salvador donc, et Haïti. Comme face au Honduras, les deux équipes n'arriveront pas à se départager avec une victoire chacune, comme face au Honduras, un match d'appui servira à départager le vainqueur, et comme face au Honduras, ce match d'appui ira au bout des prolongations. C'est là encore le Salvador qui en sort vainqueur avec une victoire 1 but à 0 et qui aura donc le privilège de participer à la conquête du trophée Jules Rimet lors de la Coupe du Monde 1970 qui aura lieu au Mexique.

Equipe du Salvador pendant la Coupe du Monde 1970 au Mexique
Equipe du Salvador pendant la Coupe du Monde 1970 au Mexique

Son parcours sera en revanche moins spectaculaire lors de ce mondial... Pour le premier match de son histoire dans une Coupe du Monde, le Salvador sera défait par la Belgique sur un score de 3 à 0. Défaite 4 buts à 0 face aux locaux mexicains 4 jours plus tard, puis une nouvelle défaite 2 à 0 face à l'URSS. Bilan des courses : 9 buts encaissés et aucun marqué... Le pays devra attendre 12 ans pour pouvoir retourner au Mondial et en profitera même pour inscrire son premier but de l'histoire de la compétition lors de son premier match de la phase de poule face à la Hongrie. Le score n'en reste pas moins sévère avec une très lourde défaite 10 buts à 1 ! Ce but restera comme le seul but inscrit de son histoire dans un Mondial, le Salvador perdant les deux matchs suivant sans inscrire le moindre but.

Au cours de cet épisode, nous avons évoqué le fait qu'un simple match de football a réussi à déclencher une guerre. Cependant, il peut également permettre d'apaiser les tensions et aurait même permis un jour de faire l'effet inverse ! Fin des années 70, une guerre civile éclate au Nigéria. La légende raconte qu'un cessez-le-feu de 48h aurait été acté entre les deux camps du conflit par le simple fait que le Roi Pelé venait disputer un match d'exhibition sur leurs terres avec son club de Santos.

Bref, le football, mais également le sport en général, permettent de rassembler les populations et de se rassembler sous une même bannière, que ça soit pour le bon (comme avec le Roi Pelé), comme pour le mauvais côté de la société (avec notre bien nommée Guerre du Football)...

Crédits de l'épisode sur la Guerre du Football