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Marco Pantani : Ils ont tué le pirate...

35min | 28 Jui. 2024Partager
Marco Pantani levant les bras lors de sa victoire dans le Tour de France 1998 aux Deux Alpes

Introduction

Marco Pantani, légende vivante du cyclisme italien des années 90. Sa carrière est un vrai paradoxe, adulé dans son pays malgré plusieurs contrôles positifs à des produits dopants, il connaîtra la gloire extrême à la fin du siècle dernier avant de connaître la dépression extrême au début du siècle suivant. Toute cette histoire s'achèvera un soir de Février 2004, dans la triste ville de Rimini, le tout dans des circonstances très floues qui laisseront de nombreux doutes pour l'éternité. Retour sur la fabuleuse carrière du Pirate ainsi que sur sa mort, aussi tragique que suspicieuse.

Aujourd'hui, je vais vous conter une histoire plutôt connue du grand public. Celle du petit coureur qui gravit les échelons à une vitesse folle, terminant sur le podium du Giro et du Tour de France dès sa troisième année professionnelle. Celle du grimpeur offensif qui n'hésitait pas à attaquer lors de chaque étape de montagne pour essayer de grappiller la moindre seconde. Celle du coureur au look le plus charismatique du peloton. Bref, l'histoire était belle. Trop belle même… Cette histoire, c'est aussi celle d'un homme qui ne sera pas épargné par les chutes tout au long de sa carrière. Celle d'un homme déchu au sommet de sa gloire pour contrôles antidopage positifs. Celle d'un homme qui s'est enfermé petit à petit dans la drogue et dans les antidépresseurs. Celle d'un homme rongé par ses démons qui vont le mener à sa perte…

Chaque européen vivant durant les années 90-2000 connaît les grandes lignes de l'histoire de Marco Pantani, mais aujourd'hui nous allons également nous pencher sur l'enquête, trop injustement bâclée. On ne connaît toujours pas la vérité, et on ne la connaîtra sans doute jamais… Pantani, c'est l'histoire d'un homme rentré dans la légende cycliste aussi bien par son style si caractéristique que par sa mort suspecte. De nos jours encore, il fascine. A tel point qu'il est même rentré dans les postes de radio des foyers français grâce à la célèbre chanson Rimini des Wampas. Pourquoi ce nom "Rimini" ? Hé bien, nous le découvrirons plus tard dans l'épisode…

Naissance d'une idole

Marco Pantani naît le 13 Janvier 1970 dans une petite famille modeste qui habite dans une station balnéaire d'Emilie-Romagne, nommée Cesenatico et située sur la côte Adriatique, au Nord-Est de l'Italie. Il découvre très vite le vélo, à l'âge de 11 ans mais l'utilise seulement comme un moyen de transport procurant un sentiment de liberté selon ses dires. Il découvre alors que la bicyclette ne sert pas qu'à se déplacer, c'est également un sport professionnel auquel il va alors s'essayer, avec rapidement de succès ! A l'âge de 20 ans, il réalise son premier fait d'armes en terminant sur le podium du Baby Giro (le Tour d'Italie pour amateurs) avec une belle troisième place, qui sera convertie en deuxième position l'année suivante avant de le remporter lors de sa troisième année. 3 podiums en 3 saisons consécutives, ses exploits en montagne ont inexorablement tapé dans les yeux des structures professionnelles et notamment l'équipe Carrera de Claudio Chiappucci au sein de laquelle il signe son premier contrat professionnel.

Marco Pantani avec le maillot de son équipe Carrera, accompagné de sa mère Tonina Pantani
Marco Pantani avec le maillot de son équipe Carrera, accompagné de sa mère Tonina Pantani

Les très belles performances de Pantani dès son entrée dans le circuit professionnel lui permettent d'être sélectionné par son équipe pour participer au Giro 1993. Placé dans le Top 20 au général et toujours présent en montagne pour accompagner ses leaders, il sera malheureusement victime d'une chute au cours de la 18ème étape, qui le contraint à abandonner. Le début d'un mauvais rituel, où sa carrière sera rythmée par des performances sensationnelles en montagne, ponctuées de chutes et d'abandons malheureux…

Dès l'année suivante, il change de catégorie. Jusqu'alors considéré comme un cycliste prometteur, il démontre au monde entier que les promesses vont se convertir plus tôt que prévu ! Il se présente sur le Tour d'Italie en simple coéquipier de luxe de son compatriote Chiappucci mais il se rend rapidement compte qu'il est plus fort que son leader, et peut donc prétendre à un bien meilleur rôle. Durant la 14ème étape, Pantani attaque seul dans la dernière montée et franchit ainsi la ligne d'arrivée en solitaire. Bis-repetita le lendemain où il gagne sa deuxième étape consécutive lors de l'étape reine de ce Giro. Il place une violente attaque dès le pied du dernier col de la journée, l'inévitable Mortirolo. Derrière, personne ne peut suivre, ni ses coéquipiers, ni Indurain double vainqueur en titre de l'épreuve, ni Berzin maillot rose de leader sur ses épaules. Pantani établit tout simplement ce jour-là, le record de la montée de ce col mythique à l'époque. Il terminera à une magnifique deuxième place du Tour d'Italie suivie d'une 3ème place sur le Tour de France 1994.

Pantani grimpant le mont Ventoux lors du Tour de France 1994
Pantani grimpant le mont Ventoux lors du Tour de France 1994

Un chat noir un peu trop présent

Le public italien est aux anges, il vient de découvrir une nouvelle forte personnalité cycliste qu'il va ériger au rang de nouvelle idole. Pantani, ce cycliste sorti de nulle part, qui rivalise et bat les meilleurs dans un style d'attaque si caractéristique. Le tout couronné d'un faciès reconnaissable entre mille, on y reviendra plus tard. Bref, le public l'affectionne d'un premier surnom dans sa vie, pas des plus mélioratifs, mais il a tout de même le mérite d'être là. Il devient Il Elefantino en raison de ses grandes oreilles décollées.

1995 est légèrement plus terne pour notre cycliste italien dont une chute à l'entraînement le prive d'une nouvelle participation au Giro. Après s'être rapidement refait la cerise, il participe au Tour de France et remporte pour la deuxième année consécutive le classement du meilleur jeune mais surtout deux nouvelles victoires d'étapes acquises en solitaire, dont une, mythique, sur les flancs de l'Alpe d'Huez. Sur le plan comptable, Pantani termine à une lointaine 13ème place à cause d'une très forte défaillance dans l'étape du 18 Juillet 1995 devenue tristement célèbre suite au décès de Fabio Casartelli sur les flancs du Portet-d'Aspet. Malgré une 3ème place aux championnats du monde en fin d'année, c'est surtout la semi-classique Milan-Turin qui va marquer Pantani. Malheureusement, le destin vient frapper une nouvelle fois le cycliste qui fait preuve de malchance… Au beau milieu de la course, il se fait percuter par une voiture qui a échappé à la surveillance des forces de l'ordre bloquant la route pour les cyclistes. Bilan de la situation, une double fracture ouverte tibia-péroné, et une année 1996 passée à se reconstruire afin de revenir encore plus fort. Le cycliste a évité le pire, l'accident aurait pu faire des dégâts beaucoup plus tragiques…

Marco Pantani avec sa grave blessure à la jambe sur son lit d'hôpital
Marco Pantani sur son lit d'hôpital suite à son accident sur Milan-Turin 1995

De "L'elefantino" au "Pirata" !

Il change d'écurie en 1997 et démarre la saison dans l'équipe de la Mercatone Uno, dirigée par Giuseppe Martinelli son ancien directeur chez Carrera. Cette équipe est composée de plusieurs lieutenants qui s'articulent tous autour du grand leader, Marco Pantani. Pour la première fois de sa vie, une équipe est entièrement consacrée à un seul but, le faire triompher ! Lui, l'enfant de Cesenatico ! Mais pour son premier Grand Tour, il va apprendre qu'on ne peut balayer toute sa malchance d'un revers de la main, non, Pantani a toujours un chat noir qui lui colle aux basques… Et pour le coup, cette expression porte bien son nom car lors du Giro 1997, il doit abandonner au cours de la 8ème étape à cause d'une chute provoquée… par un chat ! Sans trop de conséquences, il remonte assez rapidement en selle et peut donc s'inscrire au Tour de France où il remporte deux nouvelles étapes et aura la chance de monter sur la 3ème marche du podium. C'est d'ailleurs au cours de cette édition-là que Pantani établit le record de la montée la plus rapide de l'Alpe d'Huez, record qui tient toujours !

Victoire de Pantani sur les routes de l'Alpe d'Huez durant le Tour de France 1997
Victoire de Pantani sur les routes de l'Alpe d'Huez durant le Tour de France 1997

Mais c'est trop peu pour satisfaire notre grand champion, et durant cette année 1998, Pantani est au sommet de son art et excelle dans tout ce qu'il fait…

Il Elefantino a bien grandi, il est entre-temps devenu Le Pirate ! C'est LE Pantani que vous connaissez, bandana vissé sur la tête, oreille percée, un bouc de brigand et un style d'attaquant prêt à l'impossible dès que la route s'élève. On ne sait jamais quand le Pirate va attaquer (le sait-il lui-même ?), mais ce qui est sûr, c'est qu'il va attaquer ! A chaque étape de montagne, il n'est pas du genre à sucer la roue de ses adversaires… Non ! Ce Pantani là, c'est un Pantani de gala, un Pantani qui fait le show, un Pantani imprévisible !

Et ce Pantani imprévisible va se révéler sur le Giro 1998. Alors que tout le monde le voyait et le croyait moins fort qu'Alex Zülle, et cela même sur le terrain de prédilection de Pantani qu'est la montagne, il réussit encore à surprendre son monde lors de la 17ème étape en collant 4 minutes et 37 secondes dans la vue du suisse qui était jusque là leader du classement général. Il endosse donc le maillot rose et ne le quittera plus jusqu'à la fin, triomphant ainsi sur son premier Grand Tour avec plus d'une minute et demi d'avance sur Pavel Tonkov, et près de sept minutes sur l'italien Guerini, troisième de l'épreuve. Son jour de gloire est arrivé ! Alors qu'il ne comptait pas participer à la plus grande compétition cycliste de la planète, il se décide à y participer en tant que vainqueur sortant du Tour d'Italie afin d'essayer de réaliser le même exploit que son idole Fausto Coppi en 1949, où il était devenu le premier cycliste au monde à réaliser le doublé Giro/Tour.

Consécration lors du Tour de la honte

Alors que pour tous les amateurs de football, 1998, reste comme l'année du premier sacre mondial pour les Bleus, pour tous les amateurs de cyclisme, cela reste surtout synonyme du "Tour de la honte"…

Nous sommes le 8 Juillet 1998, la France affronte la Croatie au Stade de France en demi-finale de sa Coupe du Monde de football. Mais à 213 kilomètres de là, à l'aube, un homme s'est fait arrêté à la frontière franco-belge pour un simple contrôle de routine. Cet homme, c'est Willy Voet, soigneur de l'équipe cycliste Festina. Et ce qui était au départ un simple contrôle de routine, va prendre des proportions inouïes en devenant un scandale national, connu de nos jours comme l'Affaire Festina ! Au cours de ce simple contrôle de routine, les douaniers procèdent à une fouille du véhicule de M. Voet, et lorsqu'ils ouvrent le coffre, ils vont trouver un coffre plus rempli que la pharmacie de mon village ! 235 ampoules d'EPO, 120 capsules d'amphétamines, 82 flacons d'hormone de croissance, 60 de testostérone et des corticoïdes. Bref, les douaniers se rendent vite compte de l'importance de cette arrestation. Après 3 jours de garde à vue, Willy Voet avoue le dopage organisé qui règne au sein de l'équipe Festina. Et après de nombreuses enquêtes et interpellations dans les jours suivant, Bruno Roussel, directeur sportif de l'équipe Festina confirme les dires de Willy Voet. La réaction ne se fait pas attendre, l'équipe Festina est exclue du Tour par le directeur de course Jean-Marie Leblanc. Pour les coureurs de l'équipe Festina, pas de Champs-Elysées, leur Tour de France s'arrête au soir de la 6ème étape La Châtre - Brive. Pas de départ le lendemain matin pour le contre-la-montre Meyrignac-l'Église - Corrèze. Cela ne plaît pas aux coureurs de l'équipe cycliste et notamment à Richard Virenque qui décide d'essayer de convaincre le directeur de course de les réintégrer, mais cette réunion improvisée dans une salle du petit bistrot "Chez Gillou" n'y changera rien… Virenque annonce donc aux médias que l'équipe Festina renonce au Tour de France dans une conférence de presse devenue mythique.

Ciao les Virenque, Zülle et cie, c'est un boulevard inespéré qui s'offre à Pantani. Ce n'est tout de même pas une mince affaire car son plus gros rival sur ce Tour, Jan Ullrich, est encore là, et le restera jusqu'au bout, mais il serait mensonger de dire que l'Affaire Festina n'a pas aidé les autres coureurs du peloton en éjectant certains favoris, avant même le début des premières côtes. Il serait également hypocrite de dire que tous les coureurs sales ont été exclus et qu'ils ne reste plus que des coureurs propres. Non ce n'est pas vrai, tout le monde le sait, les années 90 sont le fleuron du dopage généralisé au sein du peloton et il n'existe pas un seul grand coureur de cette décennie qui ne soit pas mêlé au cours de sa carrière à une affaire de dopage. En Juillet 2013, la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte antidopage publie un communiqué dans lequel elle cite une liste de coureurs contrôlés rétrospectivement positifs à l'EPO. Parmi ces coureurs, Erik Zabel, Mario Cipollini, Laurent Jalabert, mais surtout Jan Ullrich et Marco Pantani ! Heureusement pour ces coureurs non pris par la patrouille, ils peuvent continuer à défiler sur les routes de France, mais le spectacle est un petit peu gâché…

Malgré tout, le Tour continue, Pantani a un doublé à aller chercher ! Et pourtant au soir de la 11ème étape, il vient d'établir le record de la montée la plus rapide du Plateau de Beille, mais cela ne suffit pas… Le maillot jaune est toujours sur les épaules de Jan Ullrich. Pantani lui, n'est que 4ème à près de 3 minutes du leader. Jour de repos pour tous les coureurs le lendemain avant de repartir de plus belle pour la 12ème étape. Enfin ça, c'est la théorie ! Parce qu'en pratique, les coureurs font grève ! Au départ réel de l'étape, tout le peloton, Laurent Jalabert en tête refuse de s'élancer sur les routes du Tour pour dénoncer tout l'acharnement médiatique qui rôde autour du peloton depuis l'Affaire Festina ! Pour faire simple, les coureurs ne veulent pas partir, et cela donnera lieu à une photo mythique de l'histoire du Tour de France. On y voit Marco Pantani, assis par terre avec tout le peloton derrière lui, le dos voûté, les épaules recroquevillées et surtout le regard qui a l'air perdu, fuyant l'objectif du photographe placé juste devant lui. Après deux heures de grève, le départ peut enfin être donné et l'étape se déroule normalement.

Grève du peloton sur la 12ème étape du Tour de France 1998
Grève du peloton sur la 12ème étape du Tour de France 1998

Nous arrivons au jour de la 15ème étape entre Grenoble et les Deux-Alpes. Grande épreuve de montagne cochée par tous les spécialistes qui excellent dès que la route s'élève. Au programme, un départ de Grenoble, puis une montée au Col de la Croix de Fer suivi d'un enchaînement Télégraphe/Galibier avant de terminer en beauté avec une arrivée située en haut de la montée des Deux-Alpes. Bref, tout le gratin est réuni à l'avant du peloton, cette étape va être décisive ! La météo, elle, n'est pas de la partie, pluie et froid pendant toute l'étape, brouillard à couper au couteau dans la descente de la Croix de Fer. Chose promise, chose due, l'étape va rentrer dans les mémoires. A 5km du sommet du Galibier, Pantani nous place une attaque fulgurante comme il sait si bien le faire, et derrière, personne ne réagit à part Luc Leblanc, 6ème au classement général ! Mais Leblanc va rapidement lâcher la roue de notre héros du jour… Pantani est trop fort, grand plateau dans les pentes du Galibier ! Il passe au sommet avec plus de 2'40" d'avance sur les favoris de l'épreuve, il ne lui reste environ que 20 secondes à reprendre à Ullrich au général, et il serait virtuellement maillot jaune ! Dans la descente, Ullrich réussit à reprendre quelques secondes sur Pantani, mais ce n'est que du cache misère, il sait qu'il va exploser… Et la faute à pas de chance, le maillot Jaune crève au pied de la dernière montée de la journée ! Un changement de roue et ça repart, mais ça ne facilite pas ses affaires, déjà bien compliquées… Après une nouvelle cavalcade folle de Marco sur la route qui mène aux Deux-Alpes, il remporte l'étape. Et fait même coup double en endossant le maillot jaune pour la première fois de sa vie, car derrière, Ullrich n'existe plus… Il termine l'étape en 25ème position à 8 minutes 57 du vainqueur du jour ! Pantani a assommé la concurrence, lui qui comptait 3 minutes de retard sur l'ancien leader du général possède désormais près de 4 minutes d'avance sur son dauphin !

Cette étape est vraiment l'étape qui a marqué tous les esprits des suiveurs du Tour 98. Dès le lendemain, Ullrich baisse les bras et explique aux journalistes : "Pantani est vraiment le plus fort, je vise désormais la 2ème place du podium".

Attaque de Pantani sur les pentes du Galibier lors du Tour de France 1998
Attaque de Pantani sur les pentes du Galibier lors du Tour de France 1998

Sur un plan moins sportif, c'est la 17ème étape qui va rester en tête pour une raison moins glorieuse… A la suite de gardes-à-vues de certains coureurs la veille au soir, c'est tout le peloton qui va faire grève de cette étape qui sera finalement neutralisée et qui n'apparaîtra donc pas officiellement dans les classements… Au total, c'est 5 équipes qui décident de ne pas franchir la ligne d'arrivée ou de ne pas repartir le lendemain en guise de protestation. Parmi elles, la formation ONCE de Laurent Jalabert ou l'équipe Kelme d'Escartin, alors 4ème au général ! Et c'est le manager de la ONCE, Manolo Saiz, qui nous gratifie du plus beau résumé de la situation sur place avec un magnifique "Je mets un doigt au cul du Tour de France", charmant…

Bref, parmi tout ce beau bazar, Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour réussit à remettre un petit peu d'ordre dans ce Tour très mouvementé et le peloton franchira la ligne d'arrivée avec un Pantani en Jaune sur les Champs-Elysées, devenant ainsi le premier vainqueur italien du Tour de France depuis 1965 et Felice Gimondi. Pantani est, depuis ce jour-là, le dernier cycliste à avoir réussi le doublé Giro/Tour de France

Pantani célébrant son doublé Giro/Tour de France sur les Champs-Elysées en 1998
Pantani célébrant son doublé Giro/Tour de France sur les Champs-Elysées en 1998

98 reste, et restera comme l'année la plus faste du champion italien, qui rentre dans la légende du cyclisme avec ce doublé magistral ! Il commence 1999 avec les mêmes ambitions et s'aligne sur les routes italiennes pour le Giro.

1999 : Le début de la fin...

Le parcours est extrêmement montagneux cette année-là et semble être tracé pour le Pirate qui envisage alors une deuxième victoire consécutive à domicile. A domicile, le mot est bien choisi car ce fameux Giro 1999 passe par Cesenatico, sa ville natale.

Et c'est un Pantani injouable que l'on voit sur ce Giro, il remporte 4 victoires d'étapes et fonce droit vers la victoire. Au soir de la 20ème étape, alors qu'il vient de remporter les deux étapes précédentes, Pantani s'offre même le luxe de porter les trois maillots différents : le maillot cyclamen du classement par points, le maillot vert symbolisant le leader du classement de la montagne, et enfin, le maillot rose, leader du classement général. Ce Giro lui est promis, il possède plus de 5 minutes et demi sur son dauphin, à deux jours de l'arrivée ! Mais stupeur ! A la suite des contrôles antidopage réalisés la veille, il n'a pas le droit de prendre le départ de l'avant dernière étape de ce Giro qu'il allait remporter… Pour faire simple, il n'a pas été contrôlé positif à l'EPO mais son taux d'hématocrite est trop élevé (52% au lieu des 50 requis). Comme sanction, il est donc suspendu 15 jours et n'a donc pas le droit de repartir le matin même… Le leader est exclu à moins de 36 heures de l'arrivée finale ! Et ça il ne le digère pas, il crie au complot à qui veut bien l'entendre, mais cela ne change rien…

C'est le début d'une lente mais vigoureuse déchéance pour le cycliste italien qui ne devient plus que l'ombre de lui-même… Sa compagne de l'époque Christina Jonsson nous explique des années plus tard "Il est rentré chez lui et a passé des jours à se désespérer et à pleurer. Il était complètement paralysé. 150 à 200 journalistes encerclaient la maison. [...] Marco s'est senti trahi et abandonné. Il estimait que son exclusion était préméditée, qu'il s'agissait d'un complot. [...] Après dix jours environ, il est venu me voir et il m'a dit : « Écoute, j'ai commencé à prendre de la cocaïne. » [...] Je crois que c'était la seule manière pour lui de supporter la pression, de survivre à la situation qu'il subissait."

Chez Pantani, quelque chose s'est brisé, il ne sera plus jamais comme avant…

Chute d'un monument du cyclisme

Il remporte deux étapes sur le Tour de France l'année suivante, mais, même quand il gagne, il ne prend plus de plaisir sur le vélo, en atteste cette victoire lors de la 12ème étape au sommet du Mont Ventoux. Pantani est lâché et positionné à quelques secondes derrière les 6 hommes de tête, dont Lance Armstrong. Mais il parvient au niveau du Chalet Reynard à revenir sur le groupe et attaque sans cesse, mais en vain. A la quatrième tentative, le Pirate réussit à creuser un écart, il reste 3 kilomètres et demi. Mais quelques centaines de mètres plus tard, le maillot jaune américain se décide à accélerer et à rejoindre l'italien aux avants-postes. Il emmène ensuite Pantani jusqu'au sommet mais ne lui dispute pas la victoire, laissant gagner l'Italien sans se battre. Et ça, Pantani ne l'a jamais accepté… On ne laisse pas gagner le Pirate ! Il préfère perdre à la pédale, que gagner au déshonneur… Son orgueil lui offrira également la victoire lors de la 15ème étape du Tour, en haut de Courchevel, mais cette victoire restera à jamais comme la dernière victoire de l'italien sur un Grand Tour, la déchéance n'est pas prête de s'arrêter…

Giro 2001, au soir de la 17ème étape, les forces de l'ordre italiennes effectuent une descente de police dans les hôtels des équipes dans le but de trouver des substances dopantes, c'est ce qu'on appelle le "blitz de San Remo". Pris la main de le sac avec une seringue d'insuline dans sa chambre, Pantani ne repart pas le lendemain et prend 6 mois de suspension par la fédération de cyclisme italienne et l'UCI.

Sur le Giro 2003, il connaît un léger regain de forme qui offre de l'espoir à tous les tifosis. Il termine 14ème, ce qui n'est pas glorieux au regard du palmarès de l'italien, mais quand on voit les embûches par lesquelles il est passé, l'Italie reprend espoir. Du moins, pour un temps… À cause des mauvaises performances de son leader, la Mercatone Uno ne sera pas invitée à participer au Tour du Centenaire, surnom donné au Tour de France 2003. Et c'est la rechute… Il décide de ne pas participer à la Vuelta cette année-là. Non, Pantani n'a plus envie. Il n'a plus envie de pédaler, plus envie de faire du sport, plus envie de bonheur… Il se fait opérer pour se faire recoller les oreilles car il ne supporte plus de voir son reflet. Vers la mi-juin, il est hospitalisé à la clinique "Parco dei Tigli", clinique spécialisée dans le traitement de la dépression et de diverses dépendances.

L'overdose du champion... Vraiment ?

Oui Marco Pantani est mort ! Mort dans un petit hôtel de Rimini. L'Italie pleure le plus grand grimpeur de la fin du siècle. Nous sommes le 14 Février 2004 et la nation transalpine est en deuil, elle vient de vivre un drame national : le Pirate, son Pirate, n'est plus ! L'enquête conclut à une mort provoquée par un oedème cérébral et pulmonaire, lié à une overdose de cocaïne. Ça, ce sont les faits ! Du moins, les faits conclus par l'enquête… Car à vrai dire, personne n'en est convaincu, l'enquête a été bâclée.

La résidence Le Rose à Rimini, lieu où le champion italien a rendu son dernier souffle
La résidence Le Rose à Rimini, lieu où le champion italien a rendu son dernier souffle

Marco voulait aller se détendre à la montagne, du côté de Milan. Mais arrivé à son hôtel milanais, il décide de laisser ses valises et ses blousons sur place et de n'emporter avec lui qu'un petit sac rempli de médicaments. Il arrive à l'hôtel de Rimini le 10 Février et réserve une nuit dans l'hôtel. Chaque jour, Marco réserve une nuit supplémentaire. Il a ses petites habitudes durant ces 4 jours, il se fait livrer ses repas depuis un petit restaurant situé non loin de l'hôtel, le Rimini Cake. Mais le 14 Février, quelque chose cloche, le concierge s'inquiète car il n'a pas vu Marco dîner ce jour-là. Il décide donc de frapper à la porte du cycliste déchu et le découvre torse nu, allongé par terre dans sa chambre, dans une mare de sang. Les secours sont appelés à 20h30 !

L'enquête commence alors. Les professionnels arrivent sur les lieux de l'accident et commencent à étudier le cadavre de Pantani pour savoir ce qui s'est déroulé. 10 ans plus tard, sa mère, Tonina Pantani réussira à faire rouvrir l'enquête pour "homicide avec altération de cadavre et des lieux du crime". Elle n'a jamais cru à la thèse du suicide ou de l'overdose malencontreuse. Aujourd'hui encore, Tonina n'a qu'une seule idée en tête, se battre pour faire ressortir la vérité, Marco n'est pas mort accidentellement selon elle ! Pour corroborer le tout, elle livre à la justice, tout un tas d'éléments qui prouvent que l'enquête a été bâclée et qu'il faut la redémarrer de zéro. Mais quels sont les éléments allant dans son sens ? Retour sur une enquête bâclée, ou encore pire, orientée…

La plupart des éléments que je vais vous citer ont été révélés au public grâce au livre "Vie et mort de Marco Pantani" de Philippe Brunel, journaliste français, qui, lui aussi, émet de sérieux doutes sur la conclusion de la première enquête et grâce à Nicolas Geay pour Stade 2 qui a également mené un reportage dans ce sens. Les extraits que vous entendrez proviendront de ce reportage. Je vous conseille vivement d'aller voir ce documentaire disponible en replay, nous pouvons y apercevoir des vidéos prises par les enquêteurs dans la chambre du cycliste et nous en apprenons plus sur les circonstances floues de l'enquête.

Zone d'ombre après zone d'ombre

Parlons tout d'abord de l'hôtel en lui-même, il est seulement situé à 30km de la ville de Cesenatico, ville de la famille Pantani. De plus, pourquoi être venu dans une station balnéaire comme Rimini, connue pour ses excès en tous genres si c'est pour dormir dans un hôtel miteux de la côte Adriatique ? La chambre d'hôtel ne lui coûte que 55€ la nuit ! Son seul avantage est d'être située proche du domicile de son dealer. Une heure seulement avant sa mort, Marco téléphone à la réception de l'hôtel à deux reprises et s'exprime, mot pour mot : "Excusez-moi, il y a des gens qui me dérangent, est-ce que vous pouvez appeler les carabiniers ?". Selon l'avocat de la famille, c'est un langage très propre, l'ancien cycliste ne pouvait donc pas être en plein délire psychomoteur comme conclut par la précédente enquête. Aussi, pourquoi aucune personne n'est intervenue, pourquoi personne n'a appelé les carabiniers comme il l'avait souhaité ? Autre problème, il est possible de rentrer dans l'hôtel sans passer par la réception, il suffit de rentrer par le garage. Impossible donc de conclure que l'italien n'a reçu aucune visite ou qu'il est resté cloîtré dans sa chambre à cette heure-là…

Intéressons nous ensuite à la chambre 5D de l'hôtel Le Rose, chambre où Marco a rendu son dernier souffle. Pour accéder à la chambre du cycliste, les policiers ont enfoncé la porte car elle était bloquée selon eux, alors qu'ils auraient simplement pu utiliser la poignée pour rentrer dedans, comme l'a simplement fait le concierge plus tôt pour découvrir le corps.

La première chose choquante en rentrant dans la pièce est le chaos régnant dans la chambre. C'est ce principal argument qui fait tout de suite dire aux enquêteurs que Pantani est décédé en plein délire psychomoteur dû à une overdose de cocaïne. Cependant, lorsqu'on y regarde de plus près, le désordre semble être un désordre organisé car tous les objets de valeurs comme la télé ou le miroir qui pourtant sont renversés au sol, sont intactes. Même les objets comme une chaise ou une poêle tombés sur ce miroir ne l'ont pas cassé. On a l'impression que tout a été posé avec délicatesse pour étayer la thèse du délire.

Le miroir non brisé dans la chambre de Pantani
Le miroir non brisé dans la chambre de Pantani

Plusieurs choses troublantes sont retrouvées dans la chambre comme par exemple les blousons évoqués plus tôt dans l'épisode. Ils étaient censés avoir été laissés à l'hôtel de Milan, alors pourquoi ont-ils été remis à Tonina Pantani en indiquant que ces blousons proviennent de la chambre de Rimini ? Dans la chambre et selon le rapport d'autopsie, il y avait entre 15 et 50g de cocaïne dans le sang de Marco Pantani, mais selon le nouveau rapport, il y en avait plutôt entre 50 et 70. D'où provient toute cette drogue sachant que le cycliste n'avait acheté que 25g ? Autre élément troublant qui n'aurait pas dû se trouver là, les enquêteurs retrouvent dans la chambre des restes de repas asiatique que Pantani n'aurait pas commandé. De plus, la cocaïne est censée couper l'appétit… Dans la chambre, après les dépenses de taxi et de cocaïne, il était censé rester à Pantani entre 3 et 5 000€, on en a pourtant retrouvé que 70… Mais surtout, sur la vidéo réalisée par les enquêteurs, une mystérieuse bouteille à moitié vide est posée sur un meuble de la chambre. Sur, et autour de cette fameuse bouteille, se trouvent en plus des traces blanches ! Malgré tout, cette bouteille n'intéresse pas les enquêteurs qui n'effectuent aucune analyse dessus… Ces mêmes enquêteurs, qui sont censés être des professionnels ne portent pas tous des gants et certains manipulent les objets sans aucune protection. Ils ne prennent pas le temps de relever des empreintes digitales sur la bouteille, sur la télé, sur le miroir, et ne pratiquent pas non plus de relevés d'ADN ! Ces enquêteurs renversent même des objets pendant l'inspection de la chambre…

La bouteille retrouvée dans la chambre de Pantani avec quelques traces blanches autour
La bouteille retrouvée dans la chambre de Pantani avec quelques "traces blanches" autour

Si l'on s'intéresse de plus près au cadavre du glorieux cycliste, nous pouvons également voir certaines choses qui clochent. Sa montre tout d'abord, elle est restée bloquée à 17h00. A l'époque, le médecin légiste avait établi l'heure de la mort à cette heure précise avant de se raviser et de la fixer entre 11h30 et 12h30. Comment la montre a-t-elle pu s'arrêter toute seule, sûrement liée à un choc, alors que l'italien était censé être déjà mort à 17h00 ? Aussi, si la chambre est en bazar à cause de son délire psychomoteur, il aurait dû avoir des blessures sur ces mains, mais il n'y a pourtant rien… Et enfin, la tête de Marco présente des blessures de chaque côté de son crâne : sur l'arcade, sur le sommet de son crâne, sur le nez, et même derrière sa tête. Comment a-t-il fait pour avoir des blessures sur chacun des côtés de sa tête ? Pas impossible que ce soit en tombant mais ça reste tout de même très improbable…

Et cela ne s'arrête pas là, en Avril 2014, alors que la famille demande la réouverture de l'enquête depuis 7 mois, la justice italienne décide de détruire le cœur et les organes de Pantani ainsi que la fameuse bouteille repérée sur la vidéo. De quoi faire enrager la famille et leur avocat…

Bref, de nouvelles zones d'ombre qui ne viennent qu'étayer la thèse que Pantani n'est pas simplement décédé comme les enquêteurs l'ont expliqué. Ni une, ni deux, la Gazzetta Dello Sport qui elle non plus n'a jamais cru à la thèse de l'overdose, titre le jour du 2 Août 2014 "Pantani fu ucciso" → "Pantani a été tué !"

La une de la Gazzetta Dello Sport du 2 Août 2014
La une de la Gazzetta Dello Sport du 2 Août 2014

Malheureusement, cela n'a jamais pu être prouvé… Le problème de la théorie du meurtre est qu'il n'existe aucun suspect, aucun mobile…

Tonina Pantani, histoire d'une mère qui ne lâche jamais

Mais ceci jusqu'à ce que Renato Vallanzasca, ancien criminel de la mafia napolitaine affirme que Pantani a bien été piégé lors de son contrôle positif au Giro 1999. Il affirme que la Camorra napolitaine aurait truqué le contrôle. Plusieurs criminels lui auraient alors dit parier sur les rivaux de Pantani car celui-ci n'arriverait pas à Milan alors qu'il était largement maillot rose à quelques heures de l'arrivée.

La mafia a-t-elle assassiné Pantani car il s'apprêtait à découvrir l'existence de ce trucage ? Ce n'est qu'une théorie de plus qui vient s'ajouter à la longue liste floue des éléments de l'enquête. Bref tout ça pour dire que le 28 septembre 2017, l'enquête est définitivement close et Pantani est officiellement mort d'overdose, faute de preuves…

Philippe Brunel nous questionne : "Est-ce que l'enquête a été bâclée ou orientée ?" Que ça soit volontairement ou involontairement d'ailleurs. Peut-être que les enquêteurs se sont dit en arrivant que cela faisait longtemps que Pantani n'était plus que l'ombre de lui-même et que tout naturellement, il était mort d'overdose. C'est également ce que suggère un invité dans un débat de Stade 2 sur la mort du champion italien : "C'est rare qu'on vérifie les freins d'un conducteur lorsqu'il se tue en conduisant avec 3g dans le sang. Ça ne veut pas dire que ça ne peut pas exister, mais c'est le moins probable".

Tonina Pantani, la mère du champion reste convaincue que le milieu qui entourait son fils n'y est pas pour rien dans ce drame. Elle exprime à des journalistes la veille de la sépulture de son fils : "Vous l'avez tué, vous l'avez persécuté pendant quatre ans. Laissez-nous seuls pour pleurer en silence". Trois années plus tard, elle expliquera dans une interview pour Paris Match : "Pour moi, c'est le cyclisme qui l'a tué. Tout part de son exclusion du Tour d'Italie, en 1999, à Madonna di Campiglio. Ce jour-là, Marco est tombé dans la honte".

Tonina Pantani dans le musée qu'elle a consacré à la gloire de son fils
Tonina Pantani dans le musée qu'elle a consacré à la gloire de son fils

C'est également pour cette raison que je me suis inspiré de la Une de la Gazetta Dello Sport pour titrer mon épisode "Ils ont tué le pirate…" Qui ça "ils" ? La police italienne par leur négligence tout comme le procureur et le médecin légiste, les dealers, ses démons addictifs, la mafia, les médias, … Ils ont tué le pirate car personne ne saura la vérité et il restera un voile à jamais. Bref il n'y a pas un coupable défini dans le décès de ce champion italien, mais tout le monde a sa part de responsabilité dans l'histoire… De nos jours, son décès dans des circonstances aussi tragiques que floues, entretient son mythe qui continue à le faire vivre dans nos mémoires. Sa carrière autant que sa mort suspecte y jouent pour beaucoup.

Bref. Marco. Tu allais toujours plus haut plus vite que les autres, j'espère que tu n'as pas raté le paradis…

Crédits de l'épisode sur Marco Pantani