Steven Bradbury, l'histoire d'un homme ayant frôlé la mort à 2 reprises, l'histoire d'un homme étant devenu le plus improbable champion olympique de l'histoire, l'histoire d'un homme devenu une icône de toute une nation, et dont une expression australienne porte aujourd'hui son nom ! Retour sur la carrière de l'homme se trouvant au bon endroit, au bon moment, et dont la vie a basculé grâce à ces 90 secondes rentrées dans l'histoire éternelle…
Ces vers ne vous disent peut-être rien, mais ils terminent l'une des fables les plus connues de l'histoire : Le Lièvre et la Tortue. Il n'y a pas meilleur résumé pour le récit que je vais vous conter que ces 4 fameux vers de Jean de la Fontaine. Les lièvres, ce sont tous les concurrents de l'épreuve du 1 000 mètres de short-track masculin des JO de 2002, la tortue quant à elle, n'est autre que Steven Bradbury, patineur australien participant également à l'épreuve. Tout commence en quart de finale ! Steven doit concourir face à 3 autres adversaires, les deux premiers sportifs à franchir la ligne d'arrivée sont qualifiés pour le prochain tour, les deux derniers, éliminés… Mais au bout d'un quart de finale rempli de suspense, notre ami Bradbury termine… 3ème… Son parcours s'arrête là, il est éliminé aux portes des demi-finales… Mais si l'histoire s'arrêtait vraiment là, vous vous doutez bien qu'il n'y a pas de quoi y consacrer un épisode à part entière… Reprenons le récit depuis le début, afin d'en apprendre plus sur son parcours de vie atypique, développant une passion pour un sport pourtant si peu populaire dans un pays tel que l'Australie !
L'histoire débute le 14 octobre 1973 dans la ville de Camden, proche de Sydney. Ce jour-là, un petit garçon nommé Steven voit le jour dans une famille plutôt sportive composée de John, le père, et Rhonda, la mère. Mais alors que la plupart des australiens exercent d'habitude le cricket ou le football australien, sa famille est orientée vers un sport totalement différent, et même très peu populaire dans le pays : le patinage de vitesse ! C'est d'ailleurs à la patinoire de Sydney que les deux futurs époux se sont rencontrés. Son père John, a même été champion national de patinage de vitesse sur piste courte 1963 et 1964.
Dès le plus jeune âge ils initient donc le petit Steven au patinage. Il monte sur ses premiers patins à l'âge de 3 ans, mais il détestait ça et devenait coléreux lorsque ses parents tentaient de le faire patiner sur la glace… Il n'a ensuite plus jamais retouché des patins jusqu'à l'âge de 6 ou 7 ans, où il y prend finalement goût. Ce qui l'attire, c'est la sensation de vitesse sur la piste. De simples patins, ça ne l'intéresse pas, ce qu'il aime par-dessus tout ce sont les patins à lame plus longue, permettant ainsi d'augmenter sa vitesse sur la piste.
Très vite, il devient rapidement parmi les meilleurs patineurs de son pays pour son âge, lorsqu'il est devenu champion d'Australie des moins de 13 ans, il ironise : “Le dernier est reparti avec la médaille de bronze !”. De parmi les meilleurs nationaux, il arrive rapidement à atteindre le niveau des meilleurs mondiaux. Exemple lors de Championnats du Monde de 1991 organisés à … Sydney ! Devant son public, Bradbury, alors âgé de 17 ans, et son équipe, composée de trois autres patineurs, arrivent à remporter les championnats du monde de relais 5000 m. C'est d'ailleurs le premier titre mondial majeur pour l'Australie dans un sport d'hiver.
Mais ce n'est que le début d'une grande carrière qui se présente alors à Bradbury. Le patineur fait connaissance avec sa première sélection olympique pour l'épreuve de Relais 5000 m aux JO d'Albertville de 1992. Il restera patineur de remplacement pendant toute la durée de l'épreuve, mais cela lui permet tout de même d'acquérir une certaine expérience olympique qui sera très utile pour le futur.
Pour un futur pas si lointain que ça d'ailleurs… Seulement deux ans après les Jeux d'Albertville de 92, arriveront les Jeux de Lillehammer de 94, ceci afin de permettre une alternance des Jeux d'Été et des Jeux d'Hiver qui se déroulaient auparavant la même année. Ces deux années de break entre les Jeux vont lui permettre de monter en puissance considérablement et de se positionner sur le 1 000m à Lillehammer en tant que favori de l'épreuve ! Il prend part à la 6ème série, les deux premiers sont qualifiés pour les quarts de finale. Mais durant l'avant-dernier tour, notre favori se fait illégalement bousculer par le belge Blanchart, ce qui provoque sa chute et donc une envolée de toutes ses chances de titre olympique dans la catégorie. Le belge sera disqualifié pour avoir provoqué la faute mais l'australien ne se fera pas repêcher pour autant… Il reste là, assis les fesses sur la glace, en train de réaliser qu'il vient de laisser passer sa chance individuelle… Sur l'épreuve du 500m, il échoue en demi-finale et terminera ainsi 8ème sur 31 concurrents. Reste une dernière épreuve pour lui : le relais 5 000m avec son pays. Contrairement à Albertville, ici, Bradbury sera bien titulaire et aidera son équipe à accrocher une belle troisième place, synonyme de médaille de bronze pour l'Australie ! Les patineurs Bradbury, Nizielski, Murtha et Hansen deviennent ainsi les premiers australiens médaillés olympiques lors d'une olympiade hivernale. Trois ans après avoir été champions du monde, ils mettent ensemble un pied de plus dans l'histoire de leur pays !
Mais cette joie ne sera que de courte durée… Lors de l'hiver 1994-1995, il dispute une épreuve à Montréal. Dans l'avant dernier tour de la course de 1500m, Bradbury chute et entraîne avec lui le canadien Frédéric Blackburn. Le canadien vient s'encastrer sur les mousses protégeant les bords de piste, il s'en sort plutôt bien… Mais dans sa chute, Bradbury est propulsé dans les airs et vient s'empaler sur la lame de Blackburn tranchante comme une lame de rasoir. Son quadriceps gauche est tranché, son cœur monte à plus de 200 battements par minutes, il se vide de tout son sang et vient de perdre 4 litres étendus sur la glace. Il reste là, à gésir sur le sol, baignant dans une mare rouge, un vrai film d'horreur du point de vue des spectateurs présents ce jour-là… Il se dit “Si je m'endors, je meure…” Son seul but, rester éveillé en attendant l'arrivée des secours ! Les secours arriveront à temps et réussiront à garder Steven en vie, il vient de survivre à ce que les gens aiment appeler, l'accident le plus grave de l'histoire ayant eu lieu sur piste courte. Mais cette blessure lui laissera une trace physique et mentale à tout jamais ! Du point de vue du physique, il gardera tout au long de sa vie une immense cicatrice sur son quadriceps gauche, résultat des 111 points de suture qui ont été nécessaires afin de cicatriser sa plaie béante… Du point de vue moral, même si l'on imagine que les premiers moments n'ont pas été des plus reposants et des plus simples à vivre, il arrive à en garder du positif pour la suite de sa carrière comme il l'expliquait dans une interview début 2016 : “A l'avenir, j'ai pu tirer parti de cela comme d'un élément positif - si j'avais une journée difficile à l'entraînement, j'essayais de me souvenir de l'époque où j'étais allongé sur la glace au Canada avec les trois quarts de mon sang répandu autour de moi et la mauvaise journée à l'entraînement passait assez vite.” Il ironise même : “A l'époque j'avais environ cinq litres et demi de sang, j'en avais peut-être six ce jour-là (rires) !”
Vous l'imaginez bien, il lui faudra de nombreux mois pour revenir à son meilleur niveau sur des patins après son horrible blessure. 18 exactement, soit plus d'un an et demi ! Après une longue période de réadaptation et de remise à niveau, il voit un objectif se dessiner dans un coin de sa tête : prendre sa revanche sur les Jeux Olympiques, avec l'édition des Jeux de Nagano se profilant au loin. 4 mois seulement après son retour à la compétition, il dispute les championnats du monde mais n'avait que 64% de force dans sa jambe meurtrie. Il termine 12ème mais retourne l'année suivante avec 100% de ses capacités et un capital confiance regonflé à bloc ! Cette année-là, il termine… 13ème… “Mais c'est le sport, cela ne fonctionne pas exactement comme vous le prévoyez, n'est-ce pas ?” explique-t'il.
Étant revenu à la 5ème position mondiale à l'approche des Jeux de Nagano en 1998, il n'est pas le favori direct pour ramener un titre mais reste tout de même un sérieux prétendant à la médaille. Une fois de plus la malchance va venir s'abattre sur Steven. Deux jours avant l'épreuve de 1 000m, il explique avoir été victime du plus gros cas d'intoxication alimentaire de toute sa vie… “J'ai patiné, mais je n'avais même pas l'impression que mes jambes étaient au Japon. Je ne sais même pas à quelle place j'ai fini.” Il a effectivement terminé à une très faible 19ème place sur l'épreuve du 500m et à une 21ème place sur le 1000m terminant même la course sur les fesses après avoir chuté dans le dernier virage, pas à la hauteur de ses attentes, encore un rendez-vous manqué pour Bradbury…
Il lui reste donc un dernier objectif pour la fin de sa carrière de patineur : réaliser une grosse performance lors des Jeux de Salt Lake City en 2002 afin de terminer en beauté. Mais seulement 20 petits mois avant ces Jeux, cet objectif va voler en éclat… Lors d'une banale séance d'entraînement à Sydney, un patineur chute devant lui ! Une solution pour l'éviter, sauter par dessus le patineur pour ne pas se re-perforer la jambe. Le traumatisme de Montréal et des 111 points de suture est encore bien présent. Bradbury réussit à éviter le patineur tombé devant lui. Mais Steven n'est pas Superman, et en ratterrissant, il vient se fracasser dans les barrières longeant la piste. Résultat, un léger mal de crâne et aux cervicales dû au choc, mais tout va bien, plus de peur que de mal… Enfin, c'est ce qu'il pensait… Une semaine après le choc, il se rend compte qu'il s'est fracturé les vertèbres C4 et C5. Traduction : il s'est brisé le cou ! Une seule solution pour pallier ce problème : les médecins lui vissent un halo orthopédique visé sur son crâne et lui annoncent qu'il ne pourra plus jamais patiner car ce serait courir un trop grand risque… Sa réaction : changer de médecin. Il portera désormais son auréole de métal vissée sur son crâne pendant deux mois et demi. Certaines cicatrices des vis sont d'ailleurs toujours visibles, au-dessus de ses sourcils. Vous souvenez-vous de l'appareil dentaire en forme de casque du jeune Willy Wonka dans Charlie et la Chocolaterie ? Hé bien imaginez à la place de Willy, un patineur de 80 kg, 27 ans, avec les cheveux décolorés, et vous obtiendrez une parfaite image de la réalité.
Steven est passé à deux doigts de la paralysie, mais ce n'est pas ça qui va l'impressionner et lui faire peur, bien au contraire ! Ce triste événement lui fait prendre conscience que la vie lui laisse une dernière chance. Allez, un dernier hiver de compétition, et après il prendra sa retraite. Quoi de mieux que de terminer une carrière sur des Jeux Olympiques ? Il reprend donc l'entraînement fin 2001 et ne peut s'entraîner que quelques mois, les Jeux arrivant en Février de l'année suivante. Il n'a qu'un seul objectif en tête, terminer sa carrière en faisant honneur à son pays et à son parcours de vie. “J'avais déjà pris part à trois Jeux, mais je n'avais pas été au meilleur de ma forme à chaque fois. Et ça me rendait dingue. Alors, je me suis dit que j'allais m'entraîner comme un fou pour me rendre à Salt Lake City et faire de mon mieux, tout donner. Ce qui m'importait ce n'était pas mon résultat, mais ma façon de patiner. Je voulais juste entrer dans ces quatrièmes Jeux olympiques et avoir une dernière chance de patiner de mon mieux pendant que le monde entier me regardait parce qu'en patinage de vitesse, le monde entier ne regarde qu'une fois tous les quatre ans.” Pour profiter des derniers instants de sa carrière, il participe à toutes les épreuves olympiques de short-track : le relais, le 500m, le 1500m et le 1000m. C'est cette dernière distance qui a fait rentrer Steven Bradbury dans la légende. Le tour de qualification débute le 13 Février 2002 et, même si Bradbury est le patineur le plus âgé à concourir l'épreuve de 1000m, ce n'est qu'une formalité pour lui, parvenant à terminer premier de son groupe et se qualifiant ainsi pour les quarts de finale.
Le principe du short-track est tout simple. Depuis tout à l'heure je vous parle d'un sport dont je n'ai toujours pas expliqué les règles, mais vous allez voir, elles ne sont pas difficiles à comprendre. Littéralement, cela signifie patinage de vitesse sur piste courte. Au lieu d'une piste de patinage de vitesse classique, les patineurs exercent sur une piste de près de 111m. Et contrairement au patinage classique, ils ne se battent pas contre un chrono, mais contre les autres ! Ici, les manches sont composées de généralement 4 patineurs, et les deux plus rapides à franchir la ligne d'arrivée sont qualifiés pour le tour suivant ! Simple ! Cette discipline est l'une des plus spectaculaires des Jeux d'Hiver car les retournements de situation sont nombreux et les batailles souvent rudes jusqu'au bout de la ligne. Les chutes font partie aussi du paysage mais, même si les patins sont encore plus aiguisés que des lames de couteaux, les accidents graves restent heureusement rares. C'est dire le peu de chance qu'a eu Bradbury au cours de sa carrière…
Les choses sérieuses commencent le Samedi 16 Février. Il est 19h35 à Salt Lake City lorsque Steven Bradbury prend part à son quart de finale, avec trois autres concurrents. Rappelons le, les deux premiers patineurs accèdent à la demi-finale, les deux derniers, seront éliminés… Au terme d'une course à rebondissement, voyant le Japonais Naoya Tamura prendre trop large son dernier virage et franchir donc la ligne d'arrivée en dernière position, Steven Bradbury termine… 3ème… Déception pour l'australien qui voit son parcours s'arrêter ainsi, en quart de finale… Mais rebondissement ! Le Canadien Marc Gagnon qui a terminé 2ème est disqualifié pour avoir poussé irrégulièrement le Japonais ! La deuxième place revient donc au patineur australien : Steven Bradbury ! L'aventure n'est pas encore terminée, le destin lui offre du sursis… Le vent est en train de tourner. Pour une fois, l'homme qui n'avait jamais eu trop de chance lors de ses rendez-vous olympiques voit l'imprévu lui sourire. Enfin ! Il accède donc à la demi-finale qui a lieu seulement une petite demi-heure après les quarts. A peine remis de ses émotions, il faut rechausser les patins et se reconcentrer.
Rappelons une chose, Steven est le patineur le plus vieux de l'épreuve et sait qu'il prendra sa carrière à la fin de sa semaine olympique. Il a une seule ambition désormais, réussir à se qualifier pour la finale. Il sait qu'il est le patineur le plus lent de sa demi-finale et donc qu'il ne pourra pas les battre en vitesse pure, il a donc un plan ! Rester en retrait durant les 9 tours de piste et espérer une chute à l'avant lui laissant la possibilité de se qualifier en finale. C'est ce qu'il fait, et devinez quoi… ça marche ! A l'approche du dernier virage, le concurrent coréen Kim Dong-Sung chute ! Ils ne sont plus que 4. Devant lui, le japonais, le chinois et le canadien se percutent ! A la sortie du dernier virage, alors qu'il ne reste que 30m à parcourir, cette collision entraîne la chute de deux concurrents à l'avant, laissant ainsi le champ libre à Steven Bradbury qui franchit la ligne d'arrivée en deuxième position ! Il remporte même sa demi-finale après le déclassement du japonais devant lui. Ça y est, il la tient enfin sa finale olympique individuelle.
Indépendamment de son âge, Bradbury arrive à se hisser en finale olympique pour l'une des dernières courses de sa carrière ! Quelle merveilleuse façon de terminer une carrière faite de haut et de bas. Le départ de la finale a lieu seulement 30 minutes après la demie, pas le temps de récupérer dans ce programme ultra condensé. Rappelons qu'il y a moins d'une heure, il était éliminé en quart de finale, mais qu'il va désormais concourir pour une médaille. Pas le temps de se déconcentrer ! D'autant plus que la finale se dispute à 5 patineurs. Au programme :
Bref, Steven n'a aucune chance face à ces jeunes pleins d'ambitions et de talent. Et il le sait très bien… A tel point que, la veille, il avait envoyé un mail à Apolo Ohno lui demandant de bien vouloir parler de ses patins en cas de victoire olympique ! (Bradbury est le propriétaire de la Revolutionary Boot Company à Brisbane, fournissant des bottes de patinage, entre autres, à Ohno). Devinez alors la stratégie qu'il va mettre en place : c'est l'australien en personne qui nous explique les mots prononcés par son entraîneuse Ahn Zang. “Steve, tu n'as aucune chance, reste en retrait, espère une chute et récupère une médaille de bronze !”
C'est le grand moment, il est 20 heures 30, heure locale, et les 5 patineurs se présentent sur la ligne de départ dans une patinoire chauffée à blanc à coup de “USA USA USA !” Et c'est parti au Salt Lake Ice Center ! La finale démarre sur un rythme plutôt tranquille, mais monte très rapidement en intensité. Dans 90 secondes, tout sera terminé ! Tous les patineurs prennent successivement la tête de la course, à l'exception de Bradbury, lâché par le peloton quelques mètres derrière… Il reste un seul tour à parcourir, encore 10 secondes et les 4 patineurs font leur entrée dans le dernier virage, Steven quant à lui, est largué 15 mètres derrière… Les Jeux sont faits… Il observe la scène : Jiajun alors en deuxième position plante son patin dans la glace en voulant doubler Ohno et se fait éjecter dans les protections sur le côté de la patinoire… A la sortie de ce même virage : tous les concurrents déconcentrés par la chute du chinois se percutent un à un et terminent eux aussi leur course dans les barrières ! Tous, sauf un ! Bradbury a alors le champ libre afin de passer la ligne d'arrivée en première place !!! Sa première réaction, dois-je célébrer ? Il lève alors les deux bras d'une manière toute incrédule en franchissant la ligne d'arrivée, mais avec un sourire traversant les frontières et les hémisphères, réchauffant le cœur de tous les Australiens massés devant leur poste de télévision ! Il vient d'offrir à son pays la première médaille d'or de son histoire à des Jeux Olympiques d'hiver ! Il est même le sportif de l'hémisphère Sud à réaliser cette performance : HISTORIQUE ! Mais Bradbury se dit qu'il ne mérite pas cette médaille et que ce n'est pas possible, un nouveau départ va être donné. Impossible que cette course ne se termine de cette manière… Et pourtant c'est le cas, Steven Bradbury est officiellement sacré champion olympique !
Cette fabuleuse histoire, n'est pourtant du goût de tous les américains venus encourager en nombre leur favori Ohno qui a finalement terminé en deuxième position… Lorsque le jury a annoncé que le résultat de la course était le résultat définitif, le public a copieusement hué la décision et l'australien et un spectateur lui a même lâché “Efface ce sourire de ton visage mon pote !" lorsque le patineur se dirigeait vers le podium pour recueillir sa médaille.
Mais rien ni personne ne viendra enlever cette victoire à Bradbury ! Il monte alors sur la plus haute marche du podium et repart avec un beau pendentif qui ne le quittera plus jamais… Cette médaille, il la mérite et le dit lui-même avec du recul : “Je me suis entraîné 5h par jour, 6 jours par semaine, pendant 14 ans ! J'ai eu une lame de patin qui m'a découpé la jambe, m'a fait perdre 4 litres de sang et j'ai dû avoir une centaine de points de suture. J'ai eu un accident en me cassant le cou contre une barrière et ai failli rester paralysé à vie, j'ai dû porter un halo de sécurité pendant de très longs mois… Je ne mérite pas cette médaille pour les 90 secondes qu'a durée la course, mais je la mérite pour l'ensemble de ma carrière… “
Plusieurs conséquences sont liées à cet exploit monumental. La première est qu'il aura l'honneur d'être porte-drapeau de son pays lors de la cérémonie de clôture de ces Jeux. La seconde est légèrement plus inattendue. Le président de l'Australian Ice Skating Association a expliqué que les écoles de patinage australiennes ont été submergées d'inscription à la suite de cette course. Mais elle aura aussi des conséquences plus personnelles sur la vie de Steven. Il l'explique : “Tout dans ma vie depuis cette médaille d'or tourne d'une manière ou d'une autre autour de celle-ci. Je pense que le moment où cette nouvelle notoriété m'a le plus frappé, c'est lors de mon vol de retour de Salt Lake City. J'ai pu voyager en classe affaires. Je n'avais jamais vu la classe affaires, encore moins eu un siège dans cette section ! Puis, quand j'ai atterri à Brisbane, j'ai vu une mer de monde au bout de la passerelle menant à l'avion. Il y avait plein de caméras de télévision, de gens. Je me suis dit qu'il devait y avoir quelqu'un de connu à bord de mon vol, puis je me suis arrêté et j'ai réalisé : "Ah merde, c'est pour moi !" Je suis passé de patineur de vitesse à Brisbane, s'entraînant dans l'anonymat complet dans la banlieue ouest, à la personne la plus reconnaissable d'Australie et à devenir brièvement l'une des personnes les plus reconnaissables au monde.”
Aujourd'hui, si vous vous baladez dans les rues australiennes, vous risquerez peut-être d'entendre l'expression “Doing a Bradbury”, “Faire une Bradbury” lorsque quelqu'un a réalisé à l'aide de la chance, une prouesse que tout le monde pensait impossible. C'est une expression vraiment rentrée dans le langage courant australien comme il l'exprime : “Avoir un héritage de quelque chose comme "Faire une Bradbury" est spécial - j'ai entendu cette expression utilisée il n'y a pas si longtemps et je me tenais en quelque sorte derrière un groupe de jeunes, peut-être dans la mi-vingtaine, mais ils ne savais même pas que je me tenais là derrière eux ou qui j'étais. L'un d'eux a utilisé l'expression et a parfaitement saisi le contexte. Je les regardais juste et je pensais dans ma tête "C'est plutôt cool, ils ne savent probablement même pas qui est ce type de Bradbury", mais ils ont bien compris le contexte. Je pense, ‘Cela pourrait être mon héritage, que les gens utilisent encore ce dicton bien après ma mort'. Ça fait du bien de savoir que tu as laissé une marque sur le monde.”
En tout cas, une chose est sûre, c'est qu'il a désormais marqué l'histoire de son sport et de son pays ! Il aura des timbres postaux qui seront créés à son effigie, participera à des versions australiennes de Danse Avec Les Stars et Koh-Lanta et aura la chance de devenir commentateur pour la télé australienne lors des JO éditions 2006, 2010, 2014 et 2022. En 2012, LEGO Australie a aussi recréé les dix meilleurs moments australiens des 50 dernières années, tels que votés par la nation. Au milieu de l'ouverture de l'Opéra de Sydney ou encore de la célèbre photo de Steve Irwin qui nourrit un crocodile d'une main tout en berçant son bébé de l'autre, se tenait notre cher Bradbury, levant les bras en franchissant la ligne d'arrivée !
Pensons également à une femme, Alisa Camplin. Son nom ne vous dit peut-être rien ? Ce n'est pas étonnant, elle est la seconde australienne championne olympique aux Jeux d'hiver, couronnée seulement 48 heures après le patineur… Si proche de la gloire, et totalement éclipsée par la course rocambolesque de Steven…
Le patineur, lui, vit désormais une vie plus tranquille en Australie où il est devenu conférencier, maître de cérémonie et comédien de stand-up, essayant d'inspirer toute une nation au bonheur qu'il a ressenti ce jour de Samedi 16 Février 2002. A cause de la crise du Covid, il a dû mettre son activité de conférencier en pause et a donc décidé de monter sa propre brasserie avec des amis, baptisée au nom de “Last Man Standing Brewing” “Le brassage du dernier homme debout”. La canette est un clin d'œil à son exploit de 2002, y affichant un lièvre… et une tortue… Il a toutefois récemment fait parler de lui en Mars 2022, lorsqu'avec son fils Flynn, il a sauvé 4 adolescentes de la noyade alors qu'ils étaient en train de surfer. Ou encore lorsque pour le 1er Avril, il a posté sur Instagram une fausse annonce EBAY indiquant qu'il mettait en vente un tout petit bout de glace ayant appartenu à la fameuse patinoire de Salt Lake City 2002. Bout de glace qui s'avère en fait être un glaçon sorti tout droit de son congélateur !
Désormais, tout le monde se souvient de lui comme le mec chanceux qui a gagné alors qu'il n'avait rien à faire sur une finale olympique, mais les gens ont totalement occulté le fait qu'il faisait partie des favoris les olympiades précédentes et avait même déjà été médaillé !
Mais si Bradbury nous a bien prouvé une chose, c'est que la morale de cette histoire est toute trouvée : Rien ne sert de courir, il faut patiner à point !