SPORDCASTMon podcastMes épisodesMes podcasts favorisPresseContact

Tour de France 1964 : Anquetil / Poulidor, duel au sommet... du Puy de Dôme !

40min | 02 Juil. 2021Partager
Anquetil et Poulidor, épaule contre épaule, sur les pentes du Puy-de-Dôme

Introduction

Présentation de la rivalité de cyclistes français la plus célèbre de tous les temps. D'un côté, Maître Jacques, vainqueur de la Vuelta, double vainqueur du Giro, quintuple vainqueur du Tour de France et de multiples podiums... De l'autre, Poupou, vainqueur d'une Vuelta. Pour la postérité sportive, le destin a choisi son nom, Anquetil marquera l'histoire. Mais pour ce qui est de la bataille des cœurs en revanche, victoire haut la main du chouchou Poulidor. Retour sur ce duo qui a marqué l'histoire du cyclisme, avec comme point d'orgue, le Tour de France 1964....

Prémices d'une rivalité qui va diviser la France entière

Anquetil / Poulidor : Histoire d'une rivalité sportive qui a marqué la discipline sur des décennies. Histoire d'une rivalité la plus connue du cyclisme hexagonal. Histoire d'une rivalité qui a divisé la France entière, Anquetilistes contre Poulidoristes. !

Le premier né des deux est Jacques Anquetil qui a vu le jour en 1934 dans sa Normandie si chère à son cœur. Très tôt, il se voit offrir son premier vélo par ses parents afin de parcourir chaque jour, les trois kilomètres aller-retour correspondant au trajet vers l'école. Quelques années plus tard, au lycée, il rencontre Maurice Dieulois qui deviendra son fidèle comparse. Cet adolescent partage une passion commune avec le jeune Anquetil : la passion du sport. Il est d'ailleurs inscrit dans le club de cyclisme local et y invite son copain Jacques de venir faire un entrainement avec lui. C'est ainsi que naît la passion d'Anquetil pour ce sport à qui il consacrera sa vie. Rapidement il devient parmi les meilleurs de cette discipline en devenant un surprenant champion de France amateur en 1952 puis vainqueur du Grand Prix des Nations 1953, succédant à Hugo Koblet et Louison Bobet les deux années précédentes. Le grand Fausto Coppi essaye alors de recruter cette graine de champion mais Anquetil refuse, il préfère rester dans l'équipe La Perle, managée par Henri Pélissier. Il continue de faire ses armes dans des courses d'un jour, préférant les contre-la-montre, courses qu'il apprécie et où il excelle. Il bat même le record de l'heure, vieux de 14 ans, détenu à l'époque par Fausto Coppi. Ce cycliste, au style de sportif, au visage élancé et aux cheveux plaqués en arrière, deviendra très rapidement le nouveau héros du cyclisme mondial. Selon sa femme, Janine : “Il avait toujours cette belle allure sur le vélo que les gens ne se rendaient pas compte qu'il souffrait. Et c'est pour ça que le public ne l'aimait pas trop !”

Passons maintenant à une courte présentation de l'autre acteur majeur du Tour de France 1964.

Parmi nos deux protagonistes du jour, le second né, déjà tout un symbole, est Raymond Poulidor. Né dans la Creuse en 1936, il est le parfait stéréotype du bon français rural de l'époque, sans trop de sou, vivant dans son champ en élevant ses vaches avec un avenir tout tracé dans l'agriculture, mais avec un phrasé toujours très soutenu. Ses premiers contacts avec le vélo se font par l'intermédiaire de ses frères qui sont inscrits dans un club local. Son premier vélo d'ailleurs est offert par son futur entraîneur André Marquet. Après avoir effectué quelques courses en tant qu'amateur, il se lie de passion avec le monde du cyclisme et décide de laisser de côté sa carrière d'agriculteur qui lui était promise. Il est repéré par Antonin Magne qui lui fait signer son premier contrat professionnel à l'âge de 24 ans, dans l'équipe Mercier, équipe au sein de laquelle il restera tout au long de sa carrière. Sa passion et son amour du vélo ont été résumés par une de ses citations les plus connues : “Si la vieillesse est un naufrage, la bicyclette est certainement l'un des plus sûrs moyens d'éviter la noyade.”

Jusqu'au fameux Tour de 1964, côté palmarès, il n'y a pas photo. Poulidor, c'est 1 Milan San Remo et 1 Flèche Wallonne, déjà tout à fait honorable mais rien à côté de l'immense armoire à trophées qu'a glané Jacques Anquetil : 4 Tours de France, 2 Giro, 1 Vuelta, 1 Gand-Wevelgem, 3 Paris-Nice, 1 Critérium du Dauphiné et 7 Grands Prix des Nations en 7 participations. Il est vrai que ces deux sportifs ont commencé à se croiser sur le tard et qu'il n'auront que peu couru tous les deux au même moment dans le peloton, Anquetil arrivant sur sa fin de carrière lorsque Poulidor commençait à prendre du poil de la bête.

Côté populaire, la France est divisée en deux : Anquetilistes contre Poulidoristes. L'un représente la gagne, la force et le dépassement de soi, l'autre représente le plaisir de la course, la passion pour le cyclisme. L'un représente la facilité, gagnant tout sur son passage, l'autre représente la modestie, le travail acharné ainsi que la malchance. L'un est le patron du peloton, l'autre est le patron du public. La France alors en pleine période des Trente Glorieuses est divisée en deux. Chacun choisit son camp, et ce fameux choix sera synonyme de bon nombre de disputes au sein des foyers français. Cependant, la France des Poulidoristes écrasera par son nombre, la France des Anquetilistes. Maître Jacques, vu comme trop fort, est sifflé sur sa terre française tandis que Poulidor est acclamé partout où il va.

Caricature du départ du Tour de France 1964 opposant Anquetilistes et Poulidoristes
Caricature du départ du Tour de France 1964 opposant Anquetilistes et Poulidoristes

L'année 1964 est vraiment l'année d'un duel annoncé entre deux grands champions qui remportent titres sur titres. A Poulidor le Critérium National, à Anquetil Gand-Wevelgem ! A Anquetil le Giro, à Poulidor la Vuelta ! Les deux hommes se rendent coup pour coup ! Ce Tour de France 1964 s'annonce comme électrique avec trois grands favoris : Anquetil, Bahamontes, Poulidor.

Cette année-là, le Tour de France porte très bien son nom puisqu'il parcourra les 4 points cardinaux du territoire. Et c'est le Lundi 22 Juin 1964 que les 132 coureurs du peloton s'élancent pour le 51ème Tour de France de l'histoire. Ce Tour se lance d'ailleurs sous un beau soleil breton sur les terres du champion Louison Bobet, le tout avec une foule immense qui ne les lâchera jamais, jusqu'à Paris !

Parcours de l'édition du Tour de France 1964
Carte du Tour de France 1964

Lancement du Tour de France le plus mythique de l'histoire

Dès l'arrivée de la première étape, l'écart se creuse entre Poulidor et Anquetil. A 3km de l'arrivée, une chute a lieu entraînant une cassure au sein du peloton. Une quarantaine de coureurs s'échappe alors et réussit à reprendre 20 secondes aux autres coureurs. Anquetil coupe la ligne de la première étape en 14ème position et commence déjà à creuser l'écart avec Poulidor et Bahamontes qui lui concèdent 20 secondes. Edward Sels devient alors le premier Maillot Jaune de ce Tour de France.

Deux jours plus tard, le Tour franchit la frontière belge à l'occasion de la 3ème étape. Cette étape est la première de ce Tour de France à être découpée en demi-étapes. C'est-à-dire que les coureurs vont devoir parcourir une première étape le matin et une deuxième étape l'après-midi ! Ce Mercredi 24 Juin, les coureurs s'élancent à 8h40 du matin pour une étape qui verra le belge Bernard Van De Kerckhove franchir la ligne d'arrivée en tête à 13h47 après s'être échappé à 15km de la fin de l'étape avec 3 autres coureurs. Mais les 129 coureurs n'ont pas terminé leurs efforts dans cette dure journée, l'après-midi ils vont devoir re-grimper sur leur selle afin de parcourir un contre-la-montre par équipe de 21km. A l'arrivée, c'est l'équipe KAS de Jiménez qui remporte cette demi-étape. L'équipe Mercier de Poulidor réussit à reprendre 14 secondes à l'équipe Saint Raphaël d'Anquetil. Van De Kerckhove, le vainqueur de la matinée réussit à récupérer le Maillot Jaune.

La première étape alpestre est synonyme de plusieurs renversements dans la course. Le premier est le changement de leader du classement général : Georges Groussard revêtit la tunique jaune après avoir réussi à accrocher le groupe des favoris du Tour. Ce nouveau maillot lui offre alors une visibilité comme il n'a jamais connu, et ne connaîtra plus jamais dans sa carrière de coureur pro... Il explique en 2019 pour Ouest-France : “J'étais fou de joie. Le rêve de tout gamin qui commence le vélo venait de se réaliser. Pendant ces 10 jours, Antoine Blondin m'a surnommé le « Canari Jaune ». À l'époque, j'étais le plus petit coureur du Tour (1,59 m). Si bien que le maillot jaune était trop grand pour moi ! Le premier jour où je l'ai porté, mes coéquipiers ont été obligés de me faire un nœud dans le dos pour le raccourcir ! Après, tous les soirs, je donnais mon maillot à la patronne de l'hôtel pour qu'elle fasse un ourlet. Je lui donnais mon bouquet en échange. À l'époque, le maillot jaune était à taille unique. Ce n'était pas prévu que le plus petit coureur du Tour le prenne et le garde aussi longtemps ! Jusque-là, j'étais dans l'ombre de mon frère Joseph, et d'un seul coup, je suis devenu une vedette ! Aujourd'hui, certaines personnes qui me croisent me disent encore : « Salut Maillot jaune ! »”. Le second bouleversement de la course est la victoire en solitaire de Bahamontes lors de cette fameuse étape qui lui permet de ravir la deuxième place au général à 3'35 du leader. Mais surtout, le plus grand bouleversement est la crevaison d'Anquetil sous la flamme rouge qui lui fait perdre 17 secondes sur Poulidor. Mais ce n'est pas tout, Poulidor s'empare de la deuxième place de l'étape au sprint et permet de remporter 30 secondes de bonifications supplémentaires ! Au total, Anquetil compte désormais 1'15 de retard au général sur Poulidor ! La situation n'est pas encore grave, mais elle se tend de plus en plus pour le coureur de l'équipe Saint-Raphaël...

Poulidor, le compte n'est pas bon !

Arrive le Mardi 30 Juin et la dernière virée dans les Alpes avec l'étape Briançon-Monaco qui verra principalement l'ascension des cols de Vars et de Restefond puis une longue descente vers Monaco où les coureurs devront franchir la montée de Levens 40km avant l'arrivée. Tout se passe plutôt bien pour le groupe de favoris qui se présente à 22 coureurs avant l'entrée sur la piste du stade Louis II. Les coureurs entament alors leur tour de piste qu'ils doivent effectuer pour finir l'étape ! Poulidor lance les hostilités et sprinte le premier, franchit la ligne d'arrivée puis coupe son effort. Mais il y a un problème, le coureur de l'équipe Mercier s'est trompé dans le nombre de tours à effectuer.... Effectivement, les cyclistes devaient effectuer deux tours de piste pour finir l'étape, et non pas un seul comme l'imaginait Poulidor ! Lorsqu'il se rend compte de son erreur, il en est trop tard et s'est déjà fait dépasser par quelques concurrents... Il franchit alors la vraie fin de l'étape en 5ème position et ne gagne donc pas les bonifications qu'il pensait alors remporter au tour précédent. Pire encore, c'est Jacques Anquetil qui remporte l'étape et grapille donc une minute de bonifs... Il revient donc à seulement 15 secondes au général du malheureux Poulidor. Tout est à refaire... Premier rendez-vous manqué pour Poulidor...

Le lendemain matin, le peloton reprend tranquillement son chemin vers les Pyrénées. Tranquillement, le mot est faible. Sous une chaleur suffocante, un coureur, Louis Rostollan, décide de quitter le peloton et d'aller se rafraîchir en allant se baigner dans la Méditérannée ! Puis, grâce à la lenteur de la course, il a pu réintégrer le peloton sans aucun problème. Malgré l'aspect comique de la situation, ces baignades ne sont pas inédites dans l'histoire du Tour de France ! Souvenez-vous, en 1950, ce fut une soixantaine de coureurs qui décidèrent d'aller se rafraîchir dans la Méditerranée. Le coureur André Brulé a même décidé de rentrer dans l'eau, les fesses encore vissées sur la selle de sa bicyclette ! Ce qui n'avait pas fait sourire le directeur du Tour Jacques Goddet qui trouvait, à l'époque, que cet acte avait énormément nuit à l'image de sa course.

Louis Rostollan en plein rafraîchissement dans la mer Méditerrannée
Louis Rostollan en plein rafraîchissement dans la mer Méditerrannée

Mais revenons à l'année 1964 avec un acte, qui, là, va vraiment nuire à l'image du peloton. En plein milieu de cette fameuse 10ème étape, deux coureurs vont s'arrêter sur le bord de la course et en venir aux mains ! Il faut alors l'intervention de Jacques Goddet pour séparer les deux boxeurs et tout rentre dans l'ordre...

Bagarre entre Manzaneque et Taccone
Bagarre entre Manzaneque et Taccone

L'après-midi a lieu le premier contre-la-montre individuel du Tour, spécialité d'Anquetil, surnommé le chrono”maître” en rapport avec son autre surnom de “Maître Jacques”. Il remporte ce chrono avec 36 secondes d'avance sur Poulidor qui finit deuxième. 20 secondes de bonifications pour Anquetil, 10 pour Poulidor !

Anquetil décomposé, Poulidor revigoré

L'étape de 186km le Lundi 06 Juillet est composée de deux parties : dès le départ d'Andorre, les coureurs vont emprunter les pentes du Port d'Envalira, sommet de cette étape puis entamer une très longue descente qui mènera les coureurs dans la ville rose. Dès le lancement de l'étape, les attaques fusent : Bahamontes, Jimenez, Poulidor ! Le groupe des échappées prend alors rapidement de l'avance, et le peloton se scinde en deux ! Dans la première partie se forme un groupe en compagnie du maillot jaune Groussard, dans la seconde se trouve Jacques Anquetil ! Le normand craque et est distancé petit à petit... Défaillance physique ou mentale pour Anquetil ? Personne ne le sait, mais ce que tout le monde sait en revanche, c'est qu'il est en train de perdre son Tour de France s'il ne se reprend pas... Poulidor à l'avant, est au courant de la situation qui tourne en sa faveur et pédale de toutes ses forces pour creuser le plus grand écart possible ! C'est la débandade pour Maître Jacques... Il est à bout de forces... Jamais nous n'avons vu Jacques Anquetil dans un tel désarroi, c'est la première fois qu'il perd toute sa classe et sa facilité légendaire... Quelques années plus tard, Anquetil avouera : “Je vivais dans un cauchemar. Quand je me suis rendu compte que ça n'allait pas, je me suis dit que le mage avait raison !” Afin de l'aider à grimper le col et de minimiser la perte, Rostollan, coéquipier d'Anquetil, reste à ses côtés en essayant de tout faire pour le remotiver et lui redonner de la force !

Anquetil dégustant un méchoui lors de l'étape de repos à Andorre
Anquetil dégustant un méchoui lors de l'étape de repos à Andorre. Le lendemain, il sera à la peine sur les routes du Tour... Lien de cause à effet ?

Malgré tous les efforts de Rostollan pour pousser son coéquipier dans ses retranchements. Anquetil passe au sommet avec plus de 4'00 de retard sur Bahamontes, Poulidor & co. Poulidor est alors Maillot Jaune virtuel... Mais vous connaissez l'histoire, Poupou n'a jamais porté le maillot jaune au cours de sa carrière ! Arrivé au sommet, Geminiani, directeur sportif d'Anquetil monte à sa hauteur et va lui glisser quelques mots qui vont réveiller le cycliste !

Grâce à une descente folle d'Anquetil et de Rostollan, les deux coureurs ont réussi à rentre dans le groupe Poulidor, et donc à reprendre virtuellement son maillot jaune. Incroyable ! Impensable ! Mais ce n'est pas tout, à 24km de l'arrivée de l'étape, Antonin Magne, directeur sportif de l'équipe Mercier s'aperçoit que la roue de Poulidor est voilée car il a cassé un rayon. En bon consciencieux, Magne veut faire les choses correctement et changer la roue du cycliste. Un mécanicien de son équipe descend alors en vitesse de sa voiture, change la roue du cycliste et le pousse pour l'aider à redémarrer. Mais dans la précipitation, le mécanicien n'a pas attendu que Poulidor pose ses deux mains sur le guidon et le fait chuter ! Les coureurs devant apprennent la nouvelle et se mettent alors à rouler à toute allure. De plus le vent est de ¾ face ce qui empêchera Poulidor de rentrer sur le groupe de devant. Il franchit alors la ligne avec 2'36" de retard sur le groupe Anquetil. Rendez-vous compte, en haut du sommet du jour, Poulidor était maillot jaune virtuel avec plus de 3'30 d'avance au général sur Anquetil, sur la ligne d'arrivée, c'est Anquetil qui possède plus de 3 minutes d'avance sur Poupou au général ! Deuxième rendez-vous manqué pour Poulidor...

L'étape du lendemain connaîtra également un scénario fou ! Toulouse-Luchon, avec au programme la montée du col du Portet d'Aspet puis du Portillon ! Poulidor, vexé, hargneux et revanchard suite à la désillusion de la veille, sprinte pour s'échapper du peloton au pied du dernier col de la journée ! Il réussit à rattraper les échappées du jour et prend, seul, la tête de la course ! Derrière lui, la contre-attaque s'organise mais rien n'y fait, Poulidor est trop fort... Il passe au sommet du Portillon avec 1'40” d'avance sur Anquetil et son groupe ! Malgré les kilomètres de plat à parcourir après la descente, Poulidor maintient son écart et passe le premier la ligne d'arrivée à Luchon, 1'43 devant le groupe d'Anquetil et du maillot jaune. Il récupère également au passage 1'00 de bonifications. Au classement général, Poupou a refait son retard ! Georges Goussard est toujours actuel leader avec 1'26 d'avance sur Anquetil ! Mais Poulidor est revenu à seulement 9 secondes d'Anquetil, tout est relancé, et ce Tour promet encore de nombreuses surprises !

Arrive la 17ème étape le 09 Juillet entre Peyrehorade et Bayonne. Contre-la-montre ! Le classement des favoris sera identique au premier chrono qui a eu lieu lors de l'étape 10B. Anquetil remporte l'étape devant Poulidor avec 37 secondes d'avance. Mais rappelons que des bonifications de 20 secondes au vainqueur et de 10 secondes au deuxième sont accordées sur les chronos. Le normand accentue donc son avance au classement général et dépasse le limousin de 56” au général ! Mais le maillot jaune Georges Goussard n'est pas ud tout à l'aise dans les exercices de contre-la-montre et perd près de 6'00, il laisse dons sa tunique de leader du général à Anquetil.

Tout va se jouer dans les deux étapes décisives restantes : celle du Puy de Dôme ainsi que celle du contre-la-montre menant vers le Parc des Princes. Le suspense est alors entier !

Drame en marge du Tour, recueillement à Port-de-Couze

Mais un dramatique événement va se produire en marge des routes du Tour... Au kilomètre 106 de la 19ème étape, à Port-de-Couze, un camion-citerne amenant du carburant pour l'hélicoptère de la gendarmerie aborde trop vite un virage menant sur le pont de la ville et fauche une foule de spectateurs massés à cet endroit pour voir les cyclistes passer. Le bilan est terrible, une quarantaine de spectateurs tombe dans la Dordogne, 9 décèdent suite à cet accident... Le peloton arrive le cœur lourd sur les lieux du drame 15 minutes après le choc. Certains corps continuent d'être repêchés dans la Dordogne, la direction de course décide alors neutraliser la course pendant 5 minutes le temps que tout le monde reprenne ses esprits. La course repartira mais les cœurs n'y sont plus. La course se terminera sur un sprint massif à Brive avec la 4ème victoire sur ce Tour d'Edward Sels mais les résultats sportifs n'ont que peu d'importance lorsque l'on se rend compte de la tragédie qui vient de se dérouler... Ce Tour 1964 est alors jusqu'à présent, le Tour le plus meurtrier de l'histoire... Aujourd'hui, une stèle rappelle les lieux de l'accident et le souvenir de ces 9 personnes disparues, simplement venues acclamer leurs héros cyclistes...

Photo du camion dans la Garonne et du peloton se recueillant sur les lieux de l'accident mortel de Port-de-Couzes
Photo du camion dans la Garonne et du peloton se recueillant sur les lieux de l'accident mortel de Port-de-Couzes

Récit d'une étape mythique, pour un Tour mythique

Mais le sport doit reprendre ses droits, et va reprendre ses droits dès le lendemain avec la première des deux étapes décisives ! Cette étape est la seule arrivée au sommet de ce Tour de France, c'est la fameuse étape du Puy de Dôme ! Le ciel est couvert ce dimanche 12 Juillet 1964, mais un duel va illuminer la journée de tous les français devant leurs postes de l'ORTF et de tous les français venus en nombre sur les pentes du volcan ! La foule est immense comme on ne l'a jamais vue ! Tout le monde se rend compte que ce duel n'est pas un duel comme tous les autres, que ce Tour de France n'est pas un Tour de France comme tous les autres ! Et la foule ne va pas être déçue, cette étape va rester comme l'une des étapes les plus mythiques de l'histoire...

Photo colorisée d'Anquetil et Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme
Photo colorisée d'Anquetil et Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme

Rappelons les temps au général : Anquetil maillot jaune devant Poulidor de 56 secondes ! Juste avant le départ, les coureurs observent une minute de silence en hommage aux victimes du terrible accident de Port-de-Couze puis l'étape est lancée ! Au départ de Brive, de nombreuses échappées tentent de se mettre en place, mais elles sont toutes avortées par l'équipe Mercier de Poupou qui a une stratégie bien en tête : remporter l'étape, empocher la minute de bonification et ainsi récupérer ce fameux maillot jaune qui lui irait à ravir. Dès le pied du dernier col de la journée, le peloton n'est plus composé que de quelques coureurs. A environ 5 kilomètres de l'arrivée, ces coureurs peuvent se compter sur les doigts d'une main : Anquetil, Bahamontes, Jimenez, Poulidor ! Les 4 plus grands grimpeurs de cette édition ! Le grand bluff commence alors, Anquetil se met à hauteur de Poulidor, Poulidor se met à hauteur d'Anquetil. Devant, Jimenez attaque et sera suivi par Bahamontes ! Mais les deux français ne répliquent pas et restent concentrés sur leur mano à mano. Anquetil souffre, toute la France le voit, Geminiani dira de lui qu'il était ridicule en position de danseuse tellement il souffrait. Tout le monde se demande alors pourquoi Poupou n'attaque pas, mais au fond, Poulidor aussi est en pleine souffrance, mais cela se voit moins ce jour-là... Les deux hommes sont à la rupture, l'un à côté de l'autre, la tension est à son paroxysme ! Roger Krieger, alors photographe pour L'équipe, capturera une photo qui restera dans les mémoires, même plus de 50 ans plus tard... Les deux champions coude contre coude, épaule contre épaule, avec leurs deux vélos qui sont de travers dans la pente, et la casquette de Poulidor elle aussi est de travers... Rien ne va sur cette photo, mais elle exprime tellement bien la douleur et la souffrance de ses deux champions sur le volcan auvergnat. Poulidor racontera quelques années plus tard les dessous de cette photo mythique : “C'était la guerre entre les photographes. Chacun voulait être le mieux placé quand l'un de nous deux lâcherait prise. Ils étaient tellement près que le pot d'échappement d'une moto m'a brûlé un mollet. C'est pour cette raison que je me décale et que je touche Jacques. On le voit bien : c'est moi qui vais vers lui, je rentre un peu ma jambe. On aurait pu tomber tous les deux.”.

Célèbre photo d'Anquetil et Poulidor, coude contre coude
La célèbre photo d'Anquetil et Poulidor, coude contre coude, épaule contre épaule

Lorsque les deux français passent la flamme rouge, l'un des deux craque ! Il s'agit d'Anquetil qui se fait distancer mètre après mètre par Poulidor... Arrivera-t-il à devancer Anquetil de 56 secondes en haut du sommet ? Rien n'est moins sûr... On en viendrait presque à oublier que, devant, les deux espagnols sont en train de se disputer la victoire dont Jimenez sortira vainqueur. Tous les regards sont tournés vers le duel franco-français ! Au final Poulidor devance son compatriote de 42 secondes sur la ligne au sommet qui reste donc leader du classement général de 14 petites secondes... Les deux grimpeurs ont tout donné, Anquetil sera même au bord de l'évanouissement lorsqu'il coupera son effort au sommet... Le duel tant attendu a tenu toutes ses promesses ! Des années plus tard, Anquetil avouera : “Si j'avais perdu le maillot jaune en haut du Puy de Dôme, j'aurais abandonné ce Tour 1964”. Troisième rendez-vous manqué pour Poulidor...

Le dénouement se jouera donc lors de la dernière étape, un 14 Juillet qui plus est, tout un symbole pour ces deux français qui vont se disputer la première place... Ce sera un chrono entre Versailles et le Parc des Princes. Et oui, la célèbre arrivée du Tour sur les Champs-Elysées ne sera mise en place qu'à partir de 1975. A l'époque l'arrivée de la compétition s'effectue dans un Parc des Princes noir de monde. Et cette année, tout va se jouer dans le final, Anquetil a 14” d'avance sur Poulidor en prenant le départ du chrono. Le public l'a bien compris, environ 500 000 spectateurs se massent sur les bords de route de cette étape afin d'admirer le dénouement de cette incroyable édition du Tour de France ! Et c'est le chouchou du public qui s'élance le premier sur le parcours ! Rappelons qu'il y a également 20 secondes de bonification attribuées au vainqueur et 10 secondes pour le deuxième, tout peut changer, la moindre seconde compte ! Si Poulidor remporte l'étape avec 5 secondes d'avance sur Anquetil, c'est lui qui sera le vainqueur de la Grande Boucle édition 1964 ! Il lui reste 27,5km pour inscrire son nom au palmarès de l'épreuve. Mais Anquetil réalise le meilleur départ des deux concurrents et pointe à 12 secondes d'avance à mi-parcours... Poulidor n'a pas encore dit son dernier mot ! Il reprend du poil de la bête et pointe à seulement 3 secondes d'Anquetil au 20ème km, le scénario tant rêvé par les Poulidoristes est en train de s'écrire devant leurs yeux... Mais depuis le lancement d'Anquetil sur le chrono, Geminiani a monté un petit stratagème très malin. Sur un chrono, d'autant plus sur un chrono permettant de déterminer le vainqueur d'un Grand Tour, le plus important pour un cycliste est de connaître son avance ou son retard par rapport aux autres concurrents. Or, à l'époque, les oreillettes n'existent pas, et sur un chrono, le directeur sportif n'a pas le droit de monter à hauteur de son cycliste pour lui donner des informations de vive voix car le cycliste pourrait s'abriter du vent grâce à la voiture. Geminiani a donc emporté avec lui une ardoise et une craie et inscrit sur celle-ci l'avance ou le retard que possède son cycliste au fur et à mesure des annonces de temps sur Radio Tour. Anquetil n'a donc plus qu'à jeter un coup d'œil vers l'arrière afin de connaître son temps comparé à celui de Poulidor.

Anquetil durant le contre-la-montre final vers Paris avec Geminiani lui indiquant son avance grâce à une ardoise
Anquetil durant le contre-la-montre final vers Paris avec Geminiani lui indiquant son avance grâce à une ardoise

Et ça marche ! Anquetil remarque que son avance est en train de fondre et puise dans ses derniers retranchements pour grappiller secondes après secondes. Mais au loin, Poulidor aperçoit Bahamontes, puis le dépasse alors que le coureur espagnol est parti 2 minutes 30 avant le français ! Cela lui redonne de l'espoir et de la confiance, Poulidor est en train de faire un temps canon ! Au final, sur la ligne d'arrivée, Poulidor sera devancé de 21” sur le chrono qui verra sacrer Anquetil vainqueur de l'étape et du général ! En lui ajoutant les 20 secondes de bonification, il grimpera sur le podium final avec 55” d'avance sur son dauphin Poulidor et 4'44 sur Bahamontes, troisième. Le directeur de course, Jacques Goddet, aura ces mots pour décrire l'intensité de ce duel et de cette victoire d'Anquetil : “Ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre aussitôt la ligne d'arrivée franchie, aussitôt la décision du dieu du vélo prononcée. Ils ont accompli, à la demande du plus heureux, le vainqueur, leur tour d'honneur côte à côte, joints dans le même élan du cœur comme ils avaient été joints dans l'effort affreusement douloureux de leur lutte sur le puy de Dôme. Rien ne les séparera plus dans la légende du Tour. Le succès d'Anquetil est grand par la qualité de l'adversaire qu'il lui a fallu surpasser et le nom de Poulidor est nécessaire, restera nécessaire pour donner toute sa valeur à la cinquième victoire d'un coureur dans le Tour.”

Au final ce Tour de France 1964 sera le cinquième et dernier Tour de France gagné par le normand. Pour Poulidor, vous connaissez l'histoire... Il grimpera huit fois sur le podium final d'un Tour de France avec trois deuxièmes places et cinq troisièmes places, mais ne gagnera jamais La Grande Boucle. C'est de là que viendra son surnom tant connu “d'Éternel Second”. Il ne portera jamais non plus dans toute sa belle et longue carrière le maillot jaune...

Photo du podium final du Tour de France 1964 avec Poulidor, Anquetil et Bahamontes
Le podium final du Tour de France 1964 avec Poulidor, Anquetil et Bahamontes

Anquetil prendra sa retraite sportive en 1969, et, comme l'a expliqué le chouchou des français au début de ce podcast, les deux hommes vont devenir de très très grands amis et une passion commune va naître chez eux : celle des jeux de cartes ! Ils partageront ainsi de très beaux moments de complicité tous les deux, loin des routes françaises.

Mais Anquetil tombera gravement malade en Novembre 1987 où on lui détectera un cancer de l'estomac. Durant ces moments difficiles, il expliquera à son ancien rival : “Raymond, tu m'as vraiment fait souffrir dans le Puy de Dôme. Mais je peux te dire qu'en ce moment, j'escalade un Puy de Dôme toutes les heures.”. Quelques jours plus tard, se sachant mourant, Anquetil plaisantera avec son ami : “Tu vas encore devoir te contenter de la deuxième place... Je vais partir le premier !”. Il meurt le 18 Novembre 1987 à l'âge de 53 ans.

Concernant Poulidor, il restera le chouchou des français tout au long de sa vie ! Lors de chacune de ses apparitions sur les récentes éditions du Tour, c'est la cohue, chacun veut son autographe, sa photo et son petit mot de Raymond. Poulidor s'éteint le 13 Novembre 2019 à l'âge de 83 ans.

Crédits de l'épisode sur le Tour de France 1964